Soutien à l’Ukraine

Du ras-le-bol à l’arc-en-ciel – Genèse 6 à 9

Introduction

Je vous le concède, le titre est un peu énigmatique. Mais vous l’avez compris à la lecture du texte biblique, nous allons parler du Déluge et de l’arche de Noé. Vous le savez ou vous l’apprenez, nous faisons une série sur la Genèse, le livre du commencement. En premier lieu nous avons parlé de la création et surtout de son auteur et de son intention. Nous avons relevé ce leitmotiv de Genèse : « Voici tout était très bon. » Mais au chapitre trois, tout n’était plus très bon ! Dans ce jardin, le mal fait son apparition d’une façon inexplicable et injustifiable. Le péché originel dit-on. Au chapitre 4, force est de constater que les choses ne vont pas en s’arrangeant, puisque le mal explose en violence avec le meurtre d’Abel par son frère Caïn.

Des tableaux bien sombres du début de l’humanité (qui ne sont pas sans rappeler le présent!). Mais nous avons pu remarquer que malgré la progression du mal, Dieu se révèle pourtant dans sa grâce. L’auteur du livre de la Genèse veut nous le faire savoir. Dieu est toujours dans l’Histoire. Son plan de salut est en marche !

Et puis arrive cette histoire de Noé avec son arche. Alors ce qu’on peut dire d’emblée au sujet de cette histoire improbable c’est qu’elle est parfaite pour… les enfants ! Pour m’être occupé pendant un temps de clubs d’enfants, je peux vous dire qu’avec cette histoire on peut s’y donner à cœur joie et laisser libre cours à son imagination. On peut parler de la tête de la girafe qui dépasse du toit, de la trompe de l’éléphant qui passe le bastingage ou de cet idiot de pic vert qui fait des trous dans le bateau. Et puis il y a les questions existentielles de Noé : va-t-il placer le lion à coté de la gazelle et les gnous à côté des crocodiles ? Une superbe histoire mais quand on y regarde de plus près, on n’est pas très sûr que cela s’adresse à des enfants, c’est l’histoire d’une catastrophe, c’est l’histoire d’une inondation qui couvre le pays où il y a des victimes (voir le beau tableau de Chagall). Le déluge, une histoire pour les enfants ? Vous me passerez l’expression belge que j’adore : oui mais non peut-être !

Pour les enfants devenus grands, se pose la question de l’Historicité du récit. C’est une bonne question. On retrouve le souvenir d’un déluge dans de nombreuses cultures de la Mésopotamie en particulier dans des récits Babylonien (l’épopée de Gilgamesh) qui comporte à la fois des similitudes avec le récit de la Genèse et en même temps de grands différences. L’une notable c’est que dans un récit babylonien, les dieux qui ont créé les hommes pour qu’ils travaillent la terre à leur place, envoient après quelques temps une inondation parce qu’ils sont irrités par le bruit que font les humains, il y a un tel vacarme que l’on envoie l’eau pour les calmer. Cela fait penser aux canons à eau que l’on dirige vers les manifestants ! Un même événement mais une interprétation tout à fait différente. Personnellement je trouve le récit biblique plus sobre et plus crédible.

Alors, ce n’est pas parce que le déluge se retrouve dans différentes cultures de l’époque qu’on doit conclure à une histoire mythique. On peut simplement penser que toutes ces cultures portent en elle le souvenir d’un déluge commun qui a marqué leur histoire. Il semble évident que les descendants de Noé ont raconté cet événement du déluge à leurs enfants et que le souvenir en est resté.

Une autre question sera celle de la localisation : s’agit-il d’un déluge universel ou plutôt local ? A première vue, le récit semble parler d’un déluge qui couvre toute la terre. Mais nous n’avons pas de trace d’un tel déluge, pas de couche de sédiments qui pourrait en parler. D’un autre côté, même en restant fidèle à l’Écriture on n’est pas obligé de conclure à un déluge universel. Le terme « terre » peut vouloir dire « pays » comme dans Genèse 41 :57 et l’histoire de Joseph et de la famine qui sévissait : « La famine était forte en Egypte. De toute la terre on venait en Egypte pour acheter du grain auprès de Joseph. Car la famine était grande sur toute la terre. » Il est évident que la famine dont on nous parle n’était pas universelle et pourtant il y a les mots « toute la terre ». C’est une façon de s’exprimer pour montrer du point de vue de l’auteur l’étendue du problème qui est devant lui. On peut penser donc que le déluge s’est peut-être limité à une zone de la terre en Mésopotamie, et cette zone inondée aurait été relativement vaste malgré tout pour laisser un souvenir marquant.

Voilà ce qu’on peut dire très rapidement sur ces questions qui ont leur importance, mais qui ne sont pas non plus essentielles. C’est l’enseignement de cet événement qui nous intéresse. C’est ce qu’il nous dit sur Dieu et sur sa relation avec l’humanité qui nous intéresse au premier chef parce que c’est cet enseignement qui peut nous faire réfléchir et avancer. Et ce qu’on apprend sur Dieu tout d’abord, c’est qu’il en a ras le bol ! Oui c’est bien Dieu qui en a ras le bol. Et il en ras le bol du mal, parce que le mal le touche dans son être même.

  1. Le déluge et le ras le bol de Dieu

Le mal touche Dieu

Il en est affligé, le mal lui fait mal et il regrette (anthropomorphisme), au verset 5. Il n’est pas pris de cours, ni pris ou dépourvu, il en est touché dans sa personne divine, attristé : « Alors l’Éternel eut des regrets au sujet de l’homme qu’il avait fait sur la terre, il en eut le cœur affligé. » A côté de la tristesse, il y a aussi de la colère de Dieu, une réaction épidermique contre le mal parce que rien ne le justifie. Tout était très bon. Rien ne justifie ni n’excuse la révolte de l’homme contre le Dieu d’amour, et donc la colère de Dieu se déploie contre le mal et les porteurs du mal (v. 13) : « Alors Dieu dit à Noé: C’est décidé! Je vais mettre fin à l’existence de toutes les créatures car, à cause des hommes, la terre est remplie d’actes de violence. Je vais détruire la terre. » Ras le bol !

L’universalité, la radicalité, l’envahissement du mal

Dieu est d’autant plus touché par le mal que ce mal est envahissant, il se répand comme une trainée de poudre, et surtout et c’est le propre du mal, il corrompt toute la création et toutes les relations dans cette création. Les relations entre l’homme et la femme, les relations avec la nature, avec le travail, puis les relations entre frères, avec Caïn et Abel… Non seulement le mal prolifère, mais il est profond, il touche au cœur et à la pensée (v.5) : « L’Éternel vit que les hommes faisaient de plus en plus de mal sur la terre: à longueur de journée, leur cœur ne concevait que le mal. » Et donc Dieu dans son ras le bol du mal va provoquer un déluge. Mais est-ce pour autant un caprice d’un dieu mécontent ? Le récit ne nous présente pas un dieu capricieux, mais un Dieu touché par le mal et un Dieu de justice.

Et le déluge est donc considéré comme une juste rétribution par rapport à l’universalité du péché, la radicalité du mal. On pourrait dire que face au mal radical, il n’y a pas de demi-mesure. Henri Blocher faisait remarquer « qu’en fait l’universalité du fléau correspond à l’universalité de la corruption ». Et le récit lui-même met en valeur cette idée de correspondance en répétant le même verbe, corrompre, au verset 11 : « Et la terre s’était corrompue (6 :11) voici elle s’était corrompue tandis que toute chair avait corrompu sa conduite (v.12) voici je vais les « corrompre » (détruire) avec la terre » (v.13).

C’est comme si l’auteur appliquait une certaine logique, puisque les hommes ont plongé le monde dans le chaos moral, ils sont punis par le chaos physique. Le Déluge est présenté comme une juste rétribution. C’est juste ! Il est juste que Dieu en ai ras le bol du mal qui corrompt tout le bien de la création. On pourrait discuter et dire que ce n’est pas juste, que Dieu n’avait qu’à pas nous créer si faibles ou créer le fruit ou le serpent ou même la terre, mais ces questions sont pour l’auteur du livre tout à fait nulles et non avenues. Tout était très bon ! Le mal est venu tout pervertir, c’est un juste retour des choses que de tout détruire… à moins que ! Parce qu’il y a un à moins que… parce que l’histoire ne s’arrête pas là, elle ne s’arrête pas à la destruction.

  1. Le déluge et l’arc-en-ciel

Parce que Dieu n’est pas un destructeur. A l’égard du mal, il ne fait pas dans la demi-mesure, mais dans les situations les plus désastreuses, il offre toujours une pleine mesure de grâce… On a vu que pour Genèse 3 et la rupture, il y avait même dans ce tableau très sombre des éclaircies de grâce et pour l’histoire de Caïn également, mais là avec Noé, on est clairement dans la pleine lumière de la grâce qui s’exerce à l’égard de Noé et de sa famille. Dieu les choisit pour construire une arche qui va les préserver du déluge, et par la foi, Noé va faire ce bateau. Il y a le choix d’amour de Dieu et la réponse de l’homme. Avec Noé, on voit bien toute l’articulation de l’offre de la grâce et de la réponse de l’homme par la foi. Noé par la foi construit ce bateau dans l’indifférence générale et peut-être même les moqueries et il embarque avec sa famille et des animaux, des créatures de cette création aimée de Dieu et touchée elle aussi par la grâce. Et ce bateau passe à travers le déluge. Et on les retrouve à la sortie de l’arche et là Dieu fait la même chose qu’il avait faite avec Adam et qu’il fera avec Abraham, il va faire alliance avec Noé. Dieu s’engage envers Noé… et il va faire une promesse. Et cela malgré le péché de l’humanité.  Toute la grâce est dans ce « malgré tout », malgré l’envahissement, la radicalité du mal, je fais la promesse. « Jamais plus je ne maudirai la terre à cause de l’homme, puisque le cœur de l’homme est porté au mal dès son enfance, et je ne détruirai plus tous les êtres vivants comme je viens de le faire. » 8 : 21

Ce qui est intéressant dans cette promesse de Dieu, c’est ce « puisque le cœur… » on pourrait presque dire que Dieu décide d’assumer le fait que le péché est entré dans le monde, pas le justifier mais le prendre en compte et accompagner l’homme par sa grâce. Il est significatif de voir que Dieu fait cette promesse après avoir respiré le parfum du sacrifice de Noé. Et on peut penser que Dieu s’engage parce qu’il a déjà décidé d’un autre jugement que celui du déluge pour rétribuer le péché du monde et un autre sacrifice que celui de Noé. Dieu promet parce qu’il a déjà prédestiné l’Agneau qui portera le péché du monde, le sacrifice de la nouvelle alliance … Et oui, mesdames et messieurs, le plan du salut est en marche.

Cette alliance avec Noé regarde à la foi vers le passé et vers l’avenir. Il y a d’abord un renouvellement de l’alliance faite avec Adam. La bénédiction sur la terre et le mandat de la remplir, on préserve les « acquis sociaux » diraient les syndicalistes ! Mais cette alliance prend une nouvelle dimension spécifique à Noé, il y a là comme un nouveau départ pour le salut à venir. Avec l’alliance établie avec Noé, cette préservation de la création et de l’humanité, c’est comme si Dieu établissait le cadre dans lequel l’histoire du salut pourra se dérouler. Dans cette création et cette humanité, et malgré le péché, je vais déployer mon amour et ma grâce.

Dans ce cadre, dans le coin supérieur gauche ou droit, il y a un signe, le signe de l’alliance : un magnifique arc-en-ciel. Un signe et un magnifique rappel. Rappel de quoi ? Rappel de l’alliance, entre le ciel et la terre, puisque l’arc fait le lien. Il touche au ciel, il touche à la terre. Le Dieu des cieux est le Dieu de l’alliance avec les hommes et sa création.

Mais c’est aussi un rappel de sa grâce puisque l’arc-en-ciel est la conjonction de l’orage et de la lumière. La lumière de la grâce qui traverse les eaux menaçantes du jugement. La lumière de la grâce qui traverse les eaux de la colère. Et c’est un beau signe pour nous quand nous regardons l’arc-en-ciel mais ce qui est frappant c’est que dans le texte, le signe est pour Dieu. Quand l’arc-en-ciel apparaît, c’est Dieu qui se rappelle de son alliance et de sa grâce. Non pas parce qu’il aurait oublié, mais parce que son amour se renouvelle de génération pluvieuse en génération pluvieuse… En parlant de génération, parlons un peu de la nôtre et de notre relation avec le déluge.

  1. Le déluge et … nous

Pour en parler j’aimerais voir avec vous ce que disent les auteurs du Nouveau Testament ou de la nouvelle alliance sur le déluge. Que reste-t-il du déluge ? Est-ce que les auteurs du Nouveau Testament vont utiliser l’expression « Après moi le déluge ! » qui signifie qu’on s’en fiche un peu… de ce qui peut arriver.

Et bien non, pour les auteurs du Nouveau Testament et pour Jésus lui-même, le déluge n’est pas derrière soi il est plutôt devant soi, devant nous ! Dans l’évangile de Matthieu, au chapitre 24, Jésus parle de son retour, du retour du fils de l’homme… Et il va comparer ce retour au temps de Noé : « Lors de la venue du Fils de l’homme, les choses se passeront comme au temps de Noé; en effet, à l’époque qui précéda le déluge, les gens étaient occupés à manger et à boire, à se marier et à marier leurs enfants (rien de mauvais dans tout cela, juste de l’indifférence, « on s’en fiche ») jusqu’au jour où Noé entra dans le bateau.  Ils ne se doutèrent de rien, jusqu’à ce que vienne le déluge qui les emporta tous. Ce sera la même chose lorsque le Fils de l’homme viendra. (…) »

Jésus nous dit qu’il va y avoir quelque chose qui ressemble à ce qui s’est passé avec Noé, pas à l’identique mais de façon similaire, avec une correspondance au niveau de la situation, pas dans la forme mais dans le fond. Nous sommes dans une période critique, de crise c’est-à-dire dans le sens grec du terme, de jugement ! En grec en effet le mot crisis veut dire jugement. Et cela me fait toujours penser à la couverture du disque du meilleur groupe des années 80 Supertramp. Le gars sous son parasol en train de boire un cocktail alors que tout part en déliquescence autour de lui et le titre « Crisis what crisis » ? La crise quelle crise ?

J’ai entendu parler d’un nouveau mouvement qui s’appelle le Collapsisme, qui vient du verbe to collapse (anéantissement, destruction) et qui existe en France, des gens qui pensent qu’on va vers un anéantissement de notre planète parce qu’il y a trop de monde, parce que l’industrie ne peux plus fonctionner, parce que la pollution est irréversible, parce que l’économie ne peut que s’effondrer. Les plus pessimistes prévoient cet événement pour 2030. Je ne sais pas trop ce qu’il faut en penser mais en tous cas le temps est critique pour certains.  La Bible, en revanche, nous parle d’un autre jugement en cours.

Il s’agit du jugement de Jésus, le jugement du Fils de l’homme sur l’humanité. Cela nous étonne peut-être, nous qui nous souvenons que le fils de l’homme est venu non pour juger mais pour sauver l’humanité. Oui, mais il s’agissait de sa première venue. Ici, Jésus nous parle de son retour où il va exercer un jugement. Peut-être avec juste une question : «  Quand le Fils de l’homme reviendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Matthieu 24.

Il me semble que le jugement du Fils de l’homme sera en rapport à la foi ! Et quand Jésus suite à la comparaison d’avec le temps de Noé nous demande de nous tenir en éveil, « Tenez-vous donc en éveil », il me semble que cette vigilance est à exercer par rapport à la foi, à la mienne, à la tienne… « Quand le Fils de l’homme reviendra trouvera-t-il la foi chez moi, chez toi ? »

De quelle foi s’agit-il ? Il pourrait s’agir d’une foi qui pourrait ressembler à celle de Noé mais adaptée à notre génération. Pour terminer j’aimerais terminer par deux paroles du Nouveau Testament qui nous parlent de Noé.

L’épitre aux Hébreux nous parle de Noé comme héros de la foi (Hébreux 11 : « C’est par la foi que Noé construisit son arche. »). L’auteur met l’accent sur un aspect particulier de la foi de Noé, il s’agit d’une foi active, qui se mobilise pour construire son arche malgré l’indifférence ambiante. Il n’est pas là à attendre que tout collapse. Ce n’est pas une fois passive qui se contente de croire à moitié en attendant de voir ce qui se passe. Non Noé n’attend pas les bras croisés, mais il travaille, il construit, il édifie quelque chose. Et il le fait à contre-courant. Il n’est pas vraiment comme un poisson dans peau mais plutôt comme le saumon qui remonte la rivière, à contre-courant. C’est un exemple pour nous au niveau de notre foi qui est parfois un peu frileuse, un peu conformiste. Ayons un peu de la foi de Noé, qui construit son arche sans voir un seul nuage, mais qui le fait parce qu’il a confiance en cette Parole du Dieu de l’alliance.

Et puis il y a Pierre qui nous parle de Noé comme le Hérault de justice (2 Pierre 2:5). D’autres versions traduisent : « Prédicateur de la justice » et une version moderne qui nous dit que « Noé appelait ses contemporains à mener une vie juste ». Comme un héraut sur la place publique, un prédicateur au quotidien qui appelle ceux qui l’entourent à suivre le Dieu de l’alliance et de la promesse. On pourrait dire pour Noé qu’il s’agit d’une foi qui témoigne, un homme qui par son attitude et son obéissance parle de Dieu à ses contemporains. Et là aussi on est interpellé à l’heure où la foi est réservée au domaine privé, on aurait tendance à rester dans notre zone de confort et de sécurité. Mais c’est cette foi de témoin que Jésus veut voir également à son retour ! Un témoin envers et contre tout.

Une foi qui se mobilise pour les autres, une foi qui témoigne… dans un monde qui vit des moments critiques et qui a bien besoin d’un message d’espérance et de salut. On a envie de dire comme Paul « Mais qui est suffisant pour ces choses », pour avoir une foi comme celle-là, et pousser un long soupir. Mais n’oublions pas que nous sommes sous le signe de l’arc-en-ciel, sous le signe de la grâce de Dieu manifestée à la fin des temps en Jésus Christ, de la grâce et de la promesse de Dieu en Jésus-Christ, qu’il est avec nous jusqu’à la fin du monde.

Amen.