Soutien à l’Ukraine

Esaïe 63:17 à 64:11

Il est d’usage théologique de qualifier Esaïe comme le plus grand des prophètes. Le plus grand déjà sur la forme stylistique et par ses qualité d’écriture, ses textes étant parmi les plus admirables de la Bible. Le plus grand par la substance de ses prophéties, par la durée qu’elles recouvrent et l’importance des événements qu’elles décrivent dans l’Histoire des hébreux. Esaïe est remarquable par le maintien de ses convictions et l’intégrité de ses messages, autant dans l’adversité que dans l’acceptation. Il est le prophète le plus cité dans le Nouveau Testament, Jésus Lui-même s’attribuant une de ses prophéties quant à sa messianité. En considérant ce capital respect de notre représentation de ce prophète, nous pouvons nous sentir quelque peu embarrassé avec la consistance de ces lignes qui comportent quand même quelques concepts surprenants, tant sur la forme que le fond…

I. De la complexité des contextes prophétiques

Pour guider notre réflexion, il me semble déjà important de cerner notre vision du prophète en général. Je parle de vision et non de définition, car bien malin qui pourra définir « le prophète » au sens strict du terme. Etymologiquement bien sûr, c’est celui qui parle de la part de la divinité, avec une connotation marquée sur la prédiction d’événements futurs. 

Nous discernons bien le schéma de fonctionnement du prophète dans la Bible : Dieu se révèle au prophète pour qu’il annonce une parole particulière, pour le présent ou dans l’avenir, et le prophète n’a plus qu’à délivrer son message au destinataire, peuple, rois, individus. Mais c’est un peu le job de rêve dont personne ne veut : en théorie la proximité avec Dieu sans les contraintes protocolaires des prêtres, dans la pratique la plupart du temps la persécution, les menaces, la solitude, la pauvreté.

Selon les occurrences des recherches Google, le plus grand prophète des temps modernes à été le dirigeant d’une certaine marque dont le logo est un fruit un peu croqué… Mais quels que soient les talents de cette personne dont le prénom commençait par un S, qu’annonçait-il, si ce n’est ce qu’il était capable de produire. A qui l’annonçait-il, si ce n’est à un public conquis par ses produits ! Et surtout de la part de qui prophétisait-il, si ce n’est pour son intérêt ou celui de son entreprise. Il n’était finalement prophète que de lui-même, et par son image scénarisée par ses collaborateurs, appelés d’ailleurs, et non par hasard, évangélistes…

La complexité de la situation de notre passage montre un tout autre visage de celui qui annonce les paroles de Dieu. Esaïe se devait d’assumer un rôle pas aussi populaire que notre exemple dont le nom de famille commençait par un J… 

En opposition aux nombreuses prophéties extraordinaires proclamées par Esaïe, ce passage dans son contexte nous montre une lamentation, mélange de nostalgie de la grandeur d’un royaume disparu, avec un sous-entendu à peine voilé sur sa trop courte durée, d’un exil d’une terre pourtant autrefois promise, d’un abandon de la part de Dieu lui-même envers son peuple…

Le tableau de ce passage est donc une nature morte, une situation figée, vide de sens et de perspective pour un prophète en terrain miné. Car que peut bien annoncer un prophète une fois la catastrophe réalisée ? Que peut bien proclamer un prophète en mal d’inspiration, sans aucun signe de la part de Dieu d’une promesse de changement ? Et le premier malaise de ce texte provient bien du sentiment d’humiliation, d’impuissance d’Esaïe à qui Dieu semble ne plus rien communiquer, et qui n’a plus rien à annoncer à un peuple qui, quoiqu’il en soit, ne plus lui prête guère d’attention…

Cette situation plus qu’inconfortable nous conduit à explorer l’intériorité de ce passage, et y analyser l’intimité entre Dieu et Esaïe. Ou plus exactement selon le texte, entre Dieu et une partie du peuple de Juda qui languit après l’action de l’Eternel, et auxquels Esaïe s’associe. Sans savoir si c’est le prophète qui est le porte parole de ces personnes ou si Esaïe s’adresse à Dieu en leur nom, entrer dans cette dimension relationnelle est une source d’inspiration pour nous chrétien du 21ème siècle, loin du schéma entre Dieu et son prophète mentionné précédemment. 

II. Dans l’intimité de la relation entre le prophète et son Dieu

Ce passage est construit comme un réquisitoire et introduit des éléments factuels : Dieu a des objectifs existentiels avec Son peuple, celui-ci manque ces objectifs et en subit d’inévitables conséquences… Mais il alterne les faits établis et la repentance attendue, avec l’attribution d’au moins une part de responsabilité à Dieu Lui-même : « Pourquoi endurcis-tu notre coeur », « Tu nous as caché ta face »… ! 

Cette rhétorique heurte peut-être notre conception de la justice divine, surtout telle qu’exprimée dans l’ancien testament. Elle est pourtant une clé qui nous permet de quitter le couloir de la Loi pour ouvrir la porte de la Foi. Et ce qui ne pourrait être qu’une allusion ponctuelle s’en trouve surenchéri par la tonalité globale du texte. Il est comme une injonction envers Dieu qui se devrait de limiter les conséquences des fautes du peuple, parce qu’ils sont Son peuple justement. 

Esaïe en appelle à la nature même de Dieu en lui faisant remarquer qu’il ne fait pas très bonne figure de ne pas intervenir face à la dévastation de tout ce qui se réfère à Son peuple. Comme si Esaïe et ces fidèles attachés à l’Eternel pouvaient comme donner mauvaise conscience à Dieu Lui-même, à la fois sur le fait qu’il y va peut-être un peu fort, et sur la piètre image qu’Il donne au monde puisque tout ce qui Lui est lié est en ruine…

Dans notre contexte temporel et culturel, on ne réalise peut-être pas la force et l’audace de ce type de passage. Une audace à la limite de la provocation qui n’est pas sans rappeler un certain Abraham plaidant pour la ville de Sodome. Je vous invite à lire ultérieurement Genèse 18. Un passage qui nous décrit Abraham, de nature plutôt craintive et soumise, aller marchander auprès de Dieu le sauvetage d’une ville que Dieu avait annoncée vouloir détruire. Et Dieu écoute !

La plaidoirie d’Abraham est le passage fondateur d’un concept clé de la tradition judaïque, celle de Juste, de Tsadik. Par delà la justice de Dieu, Abraham a plaidé pour ses contemporains pourtant à priori opposés à Dieu. Ce concept englobe ceux qui plaident en humanité et non en assemblance pour leur contemporain même s’il ne leur ressemble pas, voire même si leur ennemi.

C’est cette même notion qui perdure aujourd’hui, désignant notamment tous ceux qui ont sauvé des juifs pendant la shoah, honorés notamment à Yad Vashem, le mémorial de la Shoah à Jérusalem. Toute une partie de ce complexe bouleversant est un jardin composé d’arbres et de stèles à la mémoire de tous ceux, qui, individus, villages, institution, ont sauvé les vies de ceux qui ne leur ressemblaient pas, au péril de leur propre existence.

La tradition rabbinique nous éclaire sur un second élément à ne pas minimiser : le fait que dans le judaïsme, le priant s’exprime debout, face à Dieu, comme une manière d’oser confronter notre nature humaine à la nature divine. Comme chercher à entrevoir Celui qui ne peut être vu, comme oser s’approcher d’un Dieu décidément trop saint pour nous… 

Et si ces deux notions nous aident à cerner la démarche d’Esaïe et des hommes pieux qu’il représente, Esaïe renforce encore l’impression de confrontation en s’adressant à Yahwhe, l’absolu, le « Je suis celui qui Suis », le Seul, le Tout, la Source de toute vie, Dieu dans toute l’essence de sa divinité. 

Tandis qu’Abraham dans sa plaidoirie s’adressait à Dieu par son qualificatif d’Adonaï, le nom usité pour décrire la proximité, la bonté de Dieu, celui à qui rien n’est impossible. 

Esaïe confronte donc son vide substantiel à l’absolu de Dieu. En ce sens, il est certainement un exemple pour l’expression de nos prières. Parlons-nous à Dieu de manière entendue, fataliste, en abnégation sous couvert d’un respect légitime ? Réfrénons-nous l’expression de notre colère, de nos doutes comme si Dieu ne les voyait pas ?

Ce qu’on pourrait qualifier de comportement inacceptable est, encore une fois d’après la tradition rabbinique au contraire agréé par Dieu, et même la raison qui L’a conduit à attribuer la paternité du peuple d’Israël à Abraham, l’avocat de tous, au détriment de Noé, le seul juste de sa génération, mais dont aucune mention de prière pour l’humanité dans son aspect universel n’est évoquée.

Esaïe et le reste fidèle à l’Eternel ne plaident pas juste pour se sauver eux-même, mais pour le peuple entier, y compris pour ceux qui se sont détournés de Dieu ou ne Lui manifestent qu’indifférence.

Mais alors, pourquoi plaider pour « l’autre » ? 

Force est de constater que dans la Bible, la Foi personnelle, toute intimité forte avec Dieu, même dans l’Ancien Testament, inclut forcément la dimension de l’autre, de tout autre. 

Car, au delà de tout formalisme religieux, de tout le décalage culturel et social qui nous met parfois mal à l’aise avec les récits primitifs, nous pouvons toujours y voir l’empreinte indéfectible de la Grâce de Dieu. 

Tout héros de la Foi avait compris, et s’était approprié, cet élément fondamental de la nature de Dieu, Sa grâce, comme mise en perspective de Sa justice. 

Et ce, quelles que soient ses actions, son caractère, ses désobéissances.

Plaider pour l’autre serait donc comme un lien qui nous lie en humanité avec notre prochain. Comme une manifestation de la reconnaissance de l’universalité de la grâce de Dieu, celle qui a conduit à la venue sur terre et au sacrifice de Jésus non pour juger l’humain, mais bien pour le sauver.

Esaïe connait la nature du Dieu Adonaï invoqué par Abraham, mais il s’adresse à Dieu Yahwe pour montrer non seulement qu’il reconnait qu’Il est source et auteur de toute chose, mais que cette toute-puissance est indissociable de la grâce, de la culture de la grâce, de la culture du pardon propre à la nature même de Dieu.

Esaïe est bien loin d’une demande de pardon sous forme d’acte ritualisé ; il avait bien compris que le moyen de vivre Sa grâce est incontournable de la dimension relationnelle à son Créateur.

III. L’objectif de cette supplication : la dimension relationnelle du Pardon 

Car en fait que demande Esaïe à Dieu ? 

Si l’on extrait les formes passives du texte pour les exprimer sous leur forme active, nous pouvons considérer quatre types de demandes particulières :

– Esaïe réclame à Dieu son droit d’Identité : « Tu es notre père. »

– Il exprime à Dieu son besoin de contenance, d’appartenance au Père, une dignité d’existence : « Nous sommes l’argile, nous sommes ton ouvrage » (à noter l’intéressant complément à la fois de la matière première et de l’objet fini)

– Il formule la condition de cette dignité d’existence : Couvrir les fautes : « Ne te souviens pas toujours du crime ; est-ce que tu nous affligeras à l’excès » ?

– Enfin, comme ciment de toutes ces demandes, il réclame un retour à la relation: « Est-ce que tu te tairas » ?

Mais ces 4 éléments ne sont-ils pas liés, ne sont-ils pas un retour à l’intention créationnelle, jusqu’à l’accomplissement de la réconciliation entre Dieu et l’humanité par le sacrifice de Jésus ? Par ces supplications, Esaïe libère sa parole, et s’attend à ce que Dieu libère la sienne.

Il plaide en mettant Dieu face à ses responsabilités non pas de compteurs de fautes ou de grand père fouettard, mais bien de père qui accueille son enfant par nature. C’est bien cet accueil là qu’Esaïe vient chercher auprès de l’Eternel, une restauration, un retour aux sources, une libération du poids de l’inhumanité liée pas seulement à nos actes, mais à l’offense structurelle, celle d’Adam et Eve, celle de priver Dieu d’une relation en plénitude avec l’humain.

Il existe une loi du droit à l’oubli ou dite du déréférencement; signée en 2010 en France sous forme de charte car non contraignante. 

Elle définit un droit pour tout individu de réclamer à un site web ou à un moteur de recherche d’effacer tout historique de recherche nuisible à son image, ou toute donnée en association avec l’identité de l’individu qui pourrait nuire à son image ou au respect de sa vie privée. 

Au delà de la complexité liée aux lois trans nationales des différents acteurs, il s’agit concrètement de déréférencer des historiques de recherche ou des évènements qui ne sont plus d’actualité mais nuisent un individu. 

L’exemple fondateur est celui d’une médecin radiée puis réintégrée à l’ordre des médecins aux Pays-Bas. Car les recherches web sur son nom l’associait bien sur en premier lieu à sa radiation, même si celle ci n’était plus d’actualité.

L’oubli dont parle Esaïe au verset 8 ne concerne pas l’atteinte à l’image d’un individu même justifié. Il ne s’agit pas de faire « comme si de rien était » face à ce qu’Esaïe lui-même qualifie de crime. Mais Esaïe réclame bien plutôt l’existence face à la source de toute existence, le Je suis par celui qui suis, en symétrie à l’auto définition de Dieu Yahwe, Je suis celui qui suis.

En quelque sorte, c’est un peu le contraire de la charte du droit à l’oubli : il ne s’agit pas de faire oublier ce qu’on a fait, de le dissimuler aux autres, mais bien de reconnaître notre Père, et de se connecter à Lui, quel que soit ce qu’on a fait.

Cette nature de Père réclamée par Esaïe à Dieu fait écho à notre nature d’enfant, et la culture de la grâce de la part du Père aimant et prompt à pardonner, fait écho à la culture du pardon, telle que Jésus la définit dans Matthieu 18 :

« Alors Pierre s’approcha de Jésus et lui dit: «Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi? Est-ce que ce sera jusqu’à 7 fois?»Jésus lui dit: «Je ne te dis pas jusqu’à 7 fois, mais jusqu’à 70 fois 7 fois. »

Le pardon de Dieu n’est pas le pardon qui oublie, mais qui donne par dessus, qui couvre toutes nos batailles, qui pacifie nos souvenirs, qui nous rend notre dignité d’humain, d’humain créé face à Son créateur.

Erino Dapozzo est un déporté en camp de travail à Hambourg pendant la seconde guerre mondiale. Le chef de ce camp eu l’idée particulièrement perverse de le faire assister à son repas de Noël, principalement pour le voir manger les gâteaux que la femme de DaPozzo avait envoyé à son mari.

Quelque temps après la fin de la guerre, DaPozzo arrive à retrouver le domicile du chef de camp et décide de s’y rendre. Vous imaginez la tête de cet ancien responsable nazi, qui à la vue d’un ancien prisonnier pensait sa dernière heure arriver… 

Au lieu de cela, DaPozzo, dans un geste qui intérieurement le déchira, lui apportait simplement une boite de gâteaux, cuisinés par sa femme, les mêmes que ceux que le chef de camp mangea un jour dans sa maison le soir de Noël… 

Donner par dessus rend à l’inhumain son humanité, et donner ainsi nous fait grandir en dignité. Voilà le pardon du Père tel qu’Esaïe le conçoit comme étant celui du Père. Ce pardon-là ne réclame ni clémence ni indifférence, car il y a bien asymétrie dans mon choix de donner ce que l’on m’a pris.

N’est-ce pas ce pardon qui rétablit la relation pour contrer l’humiliation, qui rend digne l’offensé, et qui rend son humanité à l’offenseur ?

Bien entendu, entre humains ce processus est complexe : il fait référence à nos inconscients, notre histoire de vie, et il ne faut pas confondre pardon, réconciliation, et le fait de remettre sa colère légitime à Dieu sans attendre le pardon de l’offenseur.

Mais envers Dieu, Esaïe réclame bien la complétude du pardon : un retour relationnel et inconditionnel.

Notez bien qu’Esaïe ne propose pas à Dieu un plan de paix, une solution durable détaillée pour une restauration dans une situation ou un lieu géographique particulier. Il est bien au delà de tout cela : il veut que Dieu lui ouvre le chemin de la libération, à l’image du peuple libéré d’Égypte dont l’objectif n’était pas tant de sortir d’Egypte, que d’atteindre la terre promise, cet espace d’une vie libérée !

Conclusion

Ce texte poignant est mis en relief par la profonde douleur qui anime Esaïe. Douleur comme signe de conscience de l’offense envers l’Eternel et de sa pire conséquence, la rupture du lien relationnel avec lui, au moins en apparence.

Comme Esaïe, nous pouvons exprimer notre nature d’offenseur au Père, Yahwe, Adonaï. Mais cette nature n’est nullement un obstacle à la relation avec ce Père aimant, accueillant. Cette relation comme base de l’identité d’Esaïe est rétablie pour nous définitivement par Jésus à la croix. Nous sommes justifiés, pardonnés, et ce lien tout particulier alimente notre intimité avec le Sauveur du Monde, et avec le Père Créateur.

Notre relation à Dieu est source de la culture du pardon à laquelle nous sommes invités et de l’intercession envers notre prochain, quel qu’il soit.

Amen

Je vous invite à un moment de recueillement où chacun pourra exprimer dans le silence à Dieu ce que son coeur, peut-être sa douleur, lui inspirera.

Megan nous accompagnera à la harpe sur la mélodie du psaume 130, telle que chantée à l’époque où il fut composé, et dont je vais lire les 5 premiers versets

Psaume 130

Du fond de la détresse je t’invoque, Eternel.
Seigneur, écoute-moi ! Sois attentif à mes supplications !
O Eternel, si tu retiens nos fautes, Seigneur, qui donc subsistera ?
Mais le pardon se trouve auprès de toi afin que l’on te craigne.
Moi, je m’attends à l’Eternel, oui, je m’attends à lui, de tout mon être,
j’ai confiance en sa parole.