Soutien à l’Ukraine

La fragilité

Mathieu 5.1:

Et, voyant les foules, il monte sur la montagne et s’assoit là.
Ses adeptes s’approchent de lui.
2.     Il ouvre la bouche, les enseigne et dit:
3.     « En marche, les humiliés du souffle ! Oui, le royaume des ciels est à eux !
4.     En marche, les endeuillés ! Oui, ils seront réconfortés !
5.     En marche, les humbles ! Oui, ils hériteront la terre !
6.     En marche, les affamés et les assoiffés de justice ! Oui, ils seront rassasiés !
7.     En marche, les matriciels ! (misericordieux). Oui, ils seront matriciés ! (obtiendront miséricorde)
8.     En marche, les coeurs purs ! Oui, ils verront Elohîms !
9.     En marche, les faiseurs de paix ! Oui, ils seront criés fils d’Elohîms.
10.     En marche, les persécutés à cause de la justice !
Oui, le royaume des ciels est à eux !
11.     En marche, quand ils vous outragent et vous persécutent,
en mentant vous accusent de tout crime, à cause de moi.
12.     Jubilez, exultez ! Votre salaire est grand aux ciels !
Oui, ainsi ont-ils persécuté les inspirés, ceux d’avant vous.

Le sel, la lumière

13.     « Vous, vous êtes le sel de la terre.
Mais si le sel devient fou, avec quoi le saler ?
Il n’est plus assez fort pour rien,
sinon pour être jeté dehors et piétiné par les hommes.
14.     Vous, vous êtes la lumière de l’univers;
une ville située sur une montagne ne peut être cachée.
15.     Personne ne fait brûler une lampe en la mettant sous le boisseau,
mais sur le lampadaire, où elle resplendit pour tous dans la maison.
16.     Ainsi, que votre lumière resplendisse en face des hommes;
ils verront vos œuvres belles, et ils glorifieront votre père des ciels.

 

Pourquoi parler de fragilité ? Peut-être pour souligner les différents paradoxes qui existent dans le monde actuel. Par exemple, notre société aspire à davantage de solidarité mais produit toujours plus d’exclusion. Tout se passe comme si la jeunesse, le santé, le succès et une intégration réussie étaient les conditions nécessaires pour être reconnus de tous. Or, chacun fait de nous l’expérience de sa propre fragilité et nous pouvons nous retrouver dans ces personnes fragilisées et pourtant décrites comme heureuses par le Christ dans les versions plus classiques de nos Bibles Chacun de nous peut être frappé par le deuil, l’injustice, des épreuves, la persécution ou le rejet à cause de ce qu’il est, de la fragilité qu’il peut renvoyer autour de lui. Parler de fragilité, c’est donc reconnaitre que le rapport entre nos forces et nos faiblesses fonde notre vie et nos relations à l’autre mais aussi participe à la construction de notre propre identité. C’est affirmer que l’aspect humain d’une société se mesure à la manière dont elle traite la fragilité de ses membres. C’est vouloir comprendre nos réactions face à la faiblesse et la vulnérabilité. C’est comprendre que nier nos fragilités nous conduit dans des impasses. Mais qu’une réaction adulte et sereine face à la fragilité peut susciter la créativité et contribuer à un monde de paix.

Une tentative de définition

– les diverses facettes de la fragilité : elle peut être vue comme :
une faiblesse : elle représente alors nos manques et nos limitations physiques, sexuelles, sociales, relationnelles, spirituelles.
la vulnérabilité : c’est vivre sans carapace, en s’exposant à la relation avec les autres. Les peurs, l’anxiété, l’angoisse, la dépression sont alors notamment les principaux modes d’expression alors de la fragilité dans certaines situations de notre vie.

Quelques considérations générales

Lorsqu’on est faible, vulnérable, lorsqu’on manifeste des émotions de souffrant et que cela dure, on peut finir par dire de nous qu’on est fragile. Et peu à peu, sans y prendre garde, nous pouvons finir par intérioriser cette image de personne fragile qu’on nous présente au fil de nos relations de diverses façons. Peu à peu, la personne vulnérable trouve là un alibi pour stagner dans son état et pour ne plus se remettre en cause. Elle n’avance plus et son entourage n’ose plus la reprendre de peur qu’elle ne s’effondre. Alors qu’elle est, soit disant fragile, elle devient toute puissante en imposant sa loi, comme les handicapés savent bien jouer de leur handicap pour faire faire aux autres ce qu’ils ont envie qu’ils fassent pour eux ou qu’ils n’ont pas envie de faire. Mais parfois aussi, c’est l’entourage qui profite de la fragilité de la personne et de son incapacité à avancer pour la dominer et profiter d’elle.

D’un autre, toutes les sortes de souffrances qui sont liées à la fragilité ne sont pas enviées par le monde qui cherche par tous les moyens à les éviter et cherche plutôt le culte de la force physique, sociale, sexuelle, relationnelle, spirituelle. La fragilité est ainsi vue négativement et refusée par la société environnante. Le souffrant s’y sent alors rejeté, exclu et se replie sur lui-même.

Faire face à la fragilité

Lorsque nous sommes en face de quelqu’un que nous considérons comme fragile, nous pouvons choisir de le fuir ou de chercher à le dominer par ce qui nous rend fort et nous donne un avantage sur elle. Nous avons du mal à accepter la fragilité de l’autre car en fait elle nous renvoie à nous mêmes, à notre propre propension à connaitre un jour dans notre vie une fragilisation dans un domaine quelquonque de notre vie. L’idée même de fragilité est associée à des peurs que nous pouvons avoir dont notamment la peur de perdre le contrôle de nous-mêmes et de voir notre vie nous glisser entre nos mains sans que nous arrivions à la maitriser. Par exemple, lorsque j’ai appris que j’avais une dégénérescence de la cornée et que je voyais ma vue s’affaiblir chaque jour un peu plus, j’ai eu peur : qu’allait-il m’arriver ? Qu’allais-je devenir ? Allais-je perdre la vue ? Devenir aveugle ? Toutes mes sécurités et mes repères volaient en éclat et j’avais l’impression de ne plus avoir le contrôle de ma vie. Nous avons tous peur un jour d’être anéantis et cela nous donne envie de suivre ceux qui nous disent en substance et en résumé : vous ne mourrez pas. Comme le diable l’avait chuchoté à l’oreille d’Eve et d’Adam.

Nous nous laissons ainsi enfermer dans une coquille incassable, par l’éducation, les valeurs et l’héritage familial, la société et ses institutions ou même l’Eglise. Nous restons bien au chaud dans cette coquille, en sécurité, plein de force.

Briser la coquille

Oui, mais l’homme est comme un poussin qui est appelé à briser la coquille, source de sécurité. S’il ne peut pas en sortir, il meurt étouffé et ne peut pas s’envoler libre vers la Cité Céleste…

Jean Vannier raconte qu’il y a quelques années, à Paris, un petit garçon de 11 ans avec un handicap intellectuel faisait sa première communion dans une paroisse. Pendant la petite fête familiale qui suivit la cérémonie, l’oncle et aussi le parrain de l’enfant alla vers sa mère et lui dit : « qu’est-ce qu’elle était belle cette liturgie. La seule chose qui est triste, c’est que lui n’a rien compris. ». Le petit garçon l’entendit et dit avec des larmes aux yeux : « ne t’inquiète pas maman, Jésus m’aime comme je suis. », Dans cette situation de grande fragilité, dans cette violence faite à sa vulnérabilité et à celle de sa maman, la sagesse de l’enfant a découvert un appel à être lui-même, à poser en vérité ce qui faisait l’essentiel de sa vie. Au lieu de se laisser enfermer dans sa coquille et y mourir étouffé, l’enfant a trouvé des mots qui ont brisé la carapace qu’on lui voulait lui faire porter. De sa fragilité a jaillit des mots lumineux qui ont redonné la vie à sa mère, avant que celle-ci ne sombre elle-même dans une coquille de culpabilité et d’impuissance.

Michel Audiard disait : bienheureux les félés car ils laissent passer la lumière. Ceux qui sont fragilisés, cassés, félés. ceux qui ont félé leur coquille et se sont rendus vulnérables, faibles, laissent passer la lumière au travers de leur coquille et ils peuvent changer et changer les autres indirectement. La lumière, c’est ce qui vient du divin, ce qui se réfère au céleste. Grâce à la lumière, nous pouvons vivre.

Justement, Jésus dit après les Béatitudes : vous êtes le sel de la terre, la lumière du monde. Il ajoute qu’on ne met pas une lumière sous le boisseau. Il dit ça de ceux qui sont humiliés de l’esprit, endeuillés, humbles, affamés et assoiffés de justice, les matriciels, les coeurs purs, les faiseurs de paix, les persécutés. Chacun de ces personnages, auxquels nous pouvons nous identifier, ont comme une faiblesse, une vulnérabilité, une fragilité. Mais, parce qu’ils se mettent en marche, parce qu’ils désirent faire face à cette fragilité, l’assumer, ils la transforment en force. Les humiliés du souffle qui ne se laisseront pas enfermer dans leur coquille de simple d’esprit mais qui chercheront à la briser hériteront le royaume des cieux. Les endeuillés, choisissant de traverser le chemin de fragilisation du deuil, seront consolés en trouvant plus qu’ils n’ont perdu…etc.

Nos faiblesses peuvent être dépassées. Combien de gens peu intellectuels sont de véritables orfèvres dans le domaine manuel. Combien d’exclus et de marginaux puisent dans leur coeur la force d’aider les autres. etc. Combien d’handicapés voyons-nous compenser par d’autres sens et faire des choses étonnantes. Et je vous invite à lire le livre de NickVujicic : la vie au-delà de toute limite.

Nos vulnérabilités nous exposent aux blessures éventuelles que les autres peuvent nous infliger. Mais, de tout cela, Dieu tire de bonnes choses en nous faisant croitre en Lui et dans la foi, même si sur le moment, c’est douloureux. Quand on se rencontre, on se déroute sinon on ne ferait que se croiser ou s’éviter. Sinon, nous vivrions sous anesthésie complète

Justement, les angoisses, les anxiétés, les déprimes, voir les dépressions qui peuvent exprimer les fragilités de quelqu’un à un moment donné, ne sont pas des signes négatifs à prendre en compte et qui servent à stigmatiser quelqu’un. Mais en accompagnant ces personnes en marche telles que les décrivent les Béatitudes, en les prenant telles qu’elles sont, nous leur permettrons de se franchir un passage au milieu du rideau de leurs larmes et de leurs émotions pour retrouver la lumière.

Quelle que soit notre fragilité, notre faiblesse, notre vulnérabilité, lorsque nous choisissons de nous mettre en marche vers une terre inconnue comme Abraham, lorsque nous faisons confiance à Dieu qui nous invite à percer la coquille, nous pouvons devenir alors forts car nous aurons commencé à quitter ce monde superficiel qui voue un culte à la force pour nous rendre dans un monde céleste qui accueille la différence et le manque.

Le grand apôtre Paul disait en 2 Corinthiens 12.è-10 : pour que je ne sois pas enflé d’orgueil, à cause de l’excellence de ces révélations, il m’a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter et m’empêcher de m’enorgueillir. Trois fois j’ai prié le Seigneur de l’éloigner de moi, et il m’a dit: Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi. C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les calamités, dans les persécutions, dans les détresses, pour Christ; car, quand je suis faible, c’est alors que je suis fort.

Le fragilisé rencontre l’autre

En Grèce Antique, un symbole était au sens propre et original un tesson de poterie cassé en deux morceaux et partagé par deux contractants. Plus tard, chacun faisait la preuve de sa qualité de contractant en rapprochant les deux morceaux qui devaient s’emboiter parfaitement. C’était le signe de la reconnaissance de l’autre avec lequel on avait fait alliance à travers le temps. Cela nous rappelle le repas du Seigneur comme Symbole. Le pain est rompu, brisé par Jésus et Il nous propose de manger un pain fracturé.
Philippiens 2.1-11 : Si donc il y a quelque consolation en Christ, s’il y a quelque soulagement dans la charité, s’il y a quelque union d’esprit, s’il y a quelque compassion et quelque miséricorde, rendez ma joie parfaite, ayant un même sentiment, un même amour, une même âme, une même pensée. Ne faites rien par esprit de parti ou par vaine gloire, mais que l’humilité vous fasse regarder les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes. Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres. Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus Christ, lequel, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes; et ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix. C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.

Jésus s’est lui même fragilisé à la croix. Il maitrisait parfaitement cette fragilisation. Mais, il a choisi de se fragiliser en s’incarnant dans un corps charnel et mortel. Il a choisi de se fragiliser en se laissant insulter, frapper. Il s’est fragilisé en acceptant d’être abandonné de son Père et de donner Sa vie en mourant pour nous. Partout, Sa vie nous parle de cette démarche de fragilisation, où Il a choisi de manquer de quelque chose, en se rendant accessible aux autres. Ainsi, quand nous le rencontrons avec nos manques, nous pouvons nous allier avec lui pour former un seul être, scellé par le Saint Esprit.

Accueillons-nous la fragilité de l’autre ? C’est quand nous nous accueillons réciproquement dans nos forces mais surtout dans nos fragilités, nos manques que nous nous formons le corps de Christ et pas quand nous cherchons à former un corps uniforme qui gomme les différences, les manques et enferme les autres dans un moule, une coquille qui les étouffe. Lorsque nous acceptons nos fragilités et accueillons celle des autres, nous pouvons compléter et former un corps en Christ, unis autour d’une alliance avec notre Dieu.