Soutien à l’Ukraine

Le malentendu des Rameaux

Nous sommes le dimanche des rameaux une semaine avant Pâques et Jésus rentre à Jérusalem, assis sur un ânon. On lui déroule le tapis rouge, pour former une belle parade, haute en couleur. Un peintre belge James Ensor, a peint un tableau qui s’intitule « l’entrée de Jésus à Bruxelles ». C’est très coloré, y’a de la joie, des couleurs, du mouvement, peut-être même une baraque à frites dans un coin.

Pour l’entrée de Jésus à Jérusalem, pas de carrosse décoré mais il y a un ânon, pas de confettis mais il y a des branches de palmiers, personne n’est déguisé mais il y a des vêtements qui sont jetés de ci de là. Après tout, ce n’est pas si mal comme parade !

Mais en fait il y a un énorme malentendu dans cette histoire.

Déjà avant il y avait eu des malentendus dans la bande de disciples qui suivait Jésus. Par trois fois Jésus annonce sa mort sur la croix et par trois fois les disciples ont une réponse décalée. Une réponse qui montre qu’il y aurait comme un malentendu.

Marc 8 :31 Il annonce sa mort  pour la première fois, il parle de mise à mort par les autorités religieuses, il en parle très clairement… et c’est Pierre qui va réagir, en lui faisant des reproches ! Ne parle pas de ta mort rabbi, c’est mauvais pour ton image !

Marc 9 : 31 La deuxième fois en Marc 9 ils sont encore en Galilée et Jésus se consacre à ses disciples et parle de la mort du fils de l’homme par la main des hommes.

Réaction des disciples : ils changent de sujet. Ils préfèrent parler de question de hiérarchie entre eux. Moi je serai le premier et pas toi !

Troisième fois en Marc 10 : 32   Jésus prend de nouveau les Douze à part, et leur dit ce qui allait arriver  avec même quelques détails. Réaction des disciples tout de suite après : Alors Jacques et Jean trouvent que c’est le bon moment pour que Jésus leur réserve des places d’honneur quand il sera dans sa gloire. J’aimerais bien être ton bras droit quand tu auras ta société !

C’est absolument incroyable mais à chaque fois que Jésus annonce sa mort, il y aurait comme un blocage. A chaque fois les disciples semblent ne pas comprendre, ils ont bien entendu mais ils n’ont pas compris. C’est plus qu’un malentendu en fait c’est comme on dit en anglais un « misunderstanding » un problème de compréhension.

Le malentendu des rameaux

Ici pour l’entrée de Jésus à Jérusalem, le malentendu concerne la foule, et il se concentre sur deux détails de l’histoire. l’ânon d’une part et les vêtements que l’on met sous les pieds de Jésus d’autre part.

L’ânon

L’ânon, est quelque chose que Jésus a voulu, qu’il a préparé. Quelques heures avant alors qu’il n’était encore qu’en banlieue de Jérusalem, il a demandé à quelques disciples d’aller à l’avant et de demander de préparer les choses pour l’entrée et  tout se passa comme Jésus leur avait dit, ils trouvèrent l’ânon et quand les gens demandèrent pourquoi ils prenaient l’ânon, ils ont répondu comme Jésus leur avait dit qu’ils répondraient . Les gens en effet les laissent partir avec l’ânon.

Jésus a voulu cet ânon et il entre à Jérusalem sur cet animal. Ce choix est volontaire de la part de Jésus qui veut rappeler le prophète Zacharie qui disait quelques siècles à l’avance

« 9 Oui, pousse des cris de joie, Jérusalem ! Regarde ! Ton roi vient vers toi. Il est juste, victorieux et humble. Il est monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. À Éfraïm, il supprimera les chars de guerre, et à Jérusalem, il supprimera les chevaux. Il cassera les arcs de combat. Il établira la paix parmi les peuples. »

Jésus a préparé ce geste pour poser un signe fort, pour dire qu’ il est le messie qui vient à Jérusalem pour briser l’arc de la guerre, pour établir la paix, il vient humblement, pas de chameaux, caravane, trésor dans les coffres, d’armes dans les bagages…pas d’escorte, juste une bande de disicples et il vient sur un ânon. C’est lui le messie.

Les vêtements

Et puis il y a les vêtements, les vêtements que l’on jette sur le chemin que prend Jésus. Et ce geste accompli par foule est tout a fait spontané et on pourrait s’en réjouir mais en même temps ce geste vient dire tout a fait l’opposé de signe de l’ânon que voulait Jésus.

Il faut savoir que la seule référence que nous avons d’un tel comportement se situe dans le deuxième livre des Rois en rapport avec le roi Jéhu. A cette époque (9° siècle) sur Israël régnait un couple machiavélique et sanguinaire Achab et Jezabel et leur fils Joram Roi d’Israël. Alors comme la coupe est pleine, celle de la méchanceté de cette famille Adams avant l’heure, Elisée le prophète choisit un roi pour nous en débarrasser, il s’appelle Jéhu…Le serviteur d’Elisée lui donne l’onction pour sa mission et les proches de Jéhu vont avoir un geste étonnant, ils vont jeter leurs vêtements sous les pieds de Jéhu.

2 rois 9 « 13 Alors chacun d’eux se hâta de prendre son vêtement et de le placer sous Jéhu, en haut des marches ; ils sonnèrent de la trompe et dirent : Jéhu est roi ! »

Et puis Jéhu va faire ce qu’il aime faire, le nettoyage. Il va prendre son char de combat, et son arc pour aller éradiquer la maison d’Achab, il va aller de victoire en victoire.

16 Jéhu monta sur son char et partit pour Jizréel, 24 Mais Jéhu saisit son arc et frappa Joram (fils de Jezabel) entre les épaules : la flèche sortit par le cœur, et Joram s’affaissa sur son char.

Et puis le nettoyage se poursuit et je ne vous lit pas la suite, la disparition de Jezabel par exemple ou la fin de la famille d’Achab et si je n’entre pas dans les détails c’est pour préserver la sensibilité des certains auditeurs. Jehu c’est un peu Jean Reno dans le rôle de Victor le nettoyeur dans le film Nikita de Luc Besson (1990). Ames sensibles s’abstenir ! Victor et Jéhu sont des violents mais pire, ils sont efficaces et ils obtiennent des résultats.

Il est violent Jéhu et il est efficace et victorieux.

Et comme pour Jéhu, la foule met des vêtements sous les pieds de Jésus alors qu’il entre à Jérusalem. Est-ce que les gens pensent que Jésus va faire le grand nettoyage, qu’il va liquider tous les étrangers romains qu’il va voler de victoire en victoire contre les occupants romain ?

Et bien oui, ils s’attendent à cela. Des textes écrits entre les deux testaments (qui ne sont donc pas dans la Bible) le disent assez clairement : Psaumes de Salomon. « Regarde Seigneur et suscite-leur un roi fils de David…et ceins le de force pour qu’il brise les princes injustes, qu’il purifie Jérusalem des nations qui la foulent et la ruinent » C’est donc réellement une attente partagée par un grand nombre et ils le montrent en reproduisant ce geste des amis de Jéhu.

Mais ce geste est complètement à l’opposé du signe de l’ânon posé par Jésus, voulu par Jésus. Les deux signes, celui de l’ânon et celui des vêtements sont en totale contradiction. Nous sommes en plein malentendu en ce dimanche des rameaux.

Ce malentendu n’est pas un petit quiproquo qui fait rire, c’est un grand malentendu, on peut même dire qu’il s’agit d’un malentendu qui tue.

Dans une pièce de théâtre écrite par A. Camus et qui s’intitule « le malentendu », il raconte l’histoire d’un homme qui revient au pays après avoir fait fortune à l’étranger. IL est parti il y a très longtemps et une fois revenu dans son pays natal il s’arrête à l’auberge tenue par sa mère et sa sœur, sans se faire reconnaître. Comme elles le font parfois avec les voyageurs isolés, la nuit les deux femmes tuent l’êtranger pour s’emparer de sa fortune. Au matin elles sont désespérées et désemparées quand elles découvrent la véritable identité de leur victime » Sinistre méprise.

Et le grand malentendu des Rameaux est aussi un malentendu qui tue et qui tue d’abord Jésus. La foule qui met ses vêtements sous les sabots de l’ânon en criant Hosanna dira quelque jours plus tard quand Pilate demande que faire avec cet homme encombrant qu’est Jésus, la foule répondra : « Crucifie-le » Marc 15 :11. Et Pilate, l’homme qui se lave les mains très souvent va laisser faire et mener Jésus tout droit vers la crucifixion.

Alors on ne sait pas si c’est vraiment la même foule parce que l’écart entre « Hosanna » et « crucifie-le » est bien trop grand pour qu’on puisse imaginer que ce sont les mêmes individus qui prononcent ces paroles à quelques jours d’intervalle. Pas possible se dit-on ! Pas moi en tous cas ! Mais cela pourrait être la même foule parce que les foules sont habituées au grand écart. Il est tout a fait possible dans l’histoire des mouvements de foule, que l’on dise « Hosanna » le dimanche et que l’on crie « à mort » le vendredi !

Tout à fait possible que la foule ait retourné la veste qu’elle avait déposée sous les pieds de Jésus et qu’elle l’ait fait d’autant plus vite qu’il y avait à l’origine ou à l’entrée un énorme malentendu. Elle s’attendait à une victoire à la Jéhu elle voit une arrestation, une condamnation, un échec lamentable. Et là il y n’y a plus eu de malentendu mais une énorme déception, la cause de Jésus était entendue, il allait mourir à cause d’un malentendu. Il n’y a rien de plus versatile qu’une foule déçue dans ses attentes. On le voit tous les jours dans les actualités , on change d’avis comme de vêtements quand on est déçu des événements. Ou quand il y a, au départ, un malentendu !

On pourrait parler un instant du problème de la foule. Quelqu’un faisait remarquer que l’humain a été crée individu, à la différence des animaux qui sont créés espèces. Dieu a crée les animaux, les crocodiles, les moustiques et les hippopotames mais il a crée l’humain au singulier. Homme et femme et il les créa (Genèse) mais au singulier, en tant que personne ayant conscience de sa singularité.

Et le problème avec la foule c’est qu’elle est plus qu’une juxtaposition d’individus uniques et singuliers, elle a une dynamique propre. Le pluriel des foules réveille l’instinct d’espèce, meute, horde…un peu animal et il faut se méfier des mouvements de foule ou en tous cas ne pas être dupe. Se méfier et en sortir pour ne pas vivre et mourir sur un malentendu.

Quel malentendu pour nous ?

Et en ce dimanche particulier nous pourrions nous poser une question singulière

Comment est-ce que j’accueille Jésus aujourd’hui ? N’y a-t-il pas parfois des malentendus dans mon attente, ou du moins une certaine ambiguïté. Même si je chante Hosanna, qui veut dire tout simplement Bravo, et c’est une parole vraie, juste…mais la question de savoir à qui je dis hosanna.est aussi une vraie question.

On a parlé dans l’introduction de l’identité de Jésus Qui dites-vous que je suis ? Demande Jésus à ces disciples ? Qui est-il pour moi ? Est-il ce que je voudrais qu’il soit ? Quelqu’un avec des supers pouvoirs, qui écrase tous mes ennemis (comme le super héros Thor avec son marteau), qui me guérit de tous mes problèmes, qui me donne du succès dans mes entreprises et dans celles de ceux qui m’entourent… qui va me permettre d’être victorieux dans ma vie ? Dit-on bravo à ce Jésus là ?

Ce ne sont pas des attentes mauvaises on peut même trouver des appuis bibliques pour ces attentes et on retrouve la même ambiguïté que celle de la foule massé à Jérusalem pour l’arrivée de Jésus. On retrouve peut-être chez nous ce même malentendu, un malentendu qui tue. Un malentendu qui va tuer la foi, elle ne survivra pas au week-end de Pâques.

Car si nous croyons à un messie victorieux ça nous renvoit à un Dieu que nous retrouvons dans les sommets et les victoires de notre histoire.

Ça nous renvoit à un Dieu qui nous fait gagner, qui comble nos désirs, qui nous accorde la prospérité. Ce Dieu est séduisant et nous comprenons qu’il attire les foules. Et ce Dieu nous parle tant que nous sommes du côté des vainqueurs tant que les succès sont dominants dans notre histoire.

Mais qu’est-ce que ce Dieu-là a à nous dire lorsque nous rencontrons l’échec, la prière non exaucée, la maladie, la persécution ? Pas grand-chose !

La foi qui repose sur cette lecture dure aussi longtemps que durent nos succès. Pour la foule de Jérusalem elle n’a pas dépassée quelques jours. A Pâques le malentendu avait non seulement tué Jésus mais aussi la foi de cette foule.

De l’autre côté, il y a Jésus humble qui rentre dans Jérusalem assis sur cet ânon qu’il a choisi et préparé comme un symbole de son humilité. Jésus ne vient ni à Jérusalem ni dans nos vies pour voler de victoire en victoire mais pour vivre un échec, celui de la mort sur la croix, une abomination pour tous, qu’il soit grec, juif ou romain. Jésus sur son ânon c’est le rejet de la foule et la faiblesse de la croix, un échec cuisant vécu dans sa chair. Et dans cet échec Jésus vient nous rejoindre au cœur même de notre faiblesse.

Le dimanche des Rameaux, Jésus assis sur un ânon, vient sur notre terrain, à notre niveau le terrain de la fragilité, de notre faiblesse, de nos échecs aussi. Et à ce niveau-là qui est le nôtre, au niveau d’en bas, Jésus nous dit quelque chose. Il nous dit qu’il partage nos souffrances, mieux encore qu’il les prend sur lui, avec lui pour lui. Et la foi qui vient d’en bas, qui vient de ce Jésus monté sur un ânon est une foi beaucoup plus solide que celle de la foule, elle va résister à toutes les tornades de la vie…elle n’est pas basée sur un malentendu qui tue la foi. Non elle est basée sur cette vérité de la bonne nouvelle de l’Evangile: Jésus est venu nous rejoindre là où nous étions. Cette foi-là, elle va rester et même dépasser le week-end de Pâques et elle le fera même dans la joie.

Qui allons nous accueillir : Le Jéhu victorieux sur son char d’assaut ou le Jésus humble qui vient sur son ânon ? A qui allons nous crier bravo, hosanna ?

Et si nous profitions de ce dimanche des rameaux pour lever tout malentendu. C’est toi Jésus, dans ta faiblesse évidente à la croix du vendredi saint mais qui est une force évidente le matin de Pâques, que nous t’accueillons. Nous t’accueillons toi roi/serviteur qui est venu jusqu’à nous pour nous donner la vie, la vraie, celle qui dure jusque dans la vie éternelle. C’est à toi, et à toi seul que nous voulons dire: Hosanna !

Amen