Soutien à l’Ukraine

Les « face à face » de Jacob – Genèse 32 : 23-33

Comme dans toutes les bonnes séries de télévision, nous commencerons par un rappel de l’épisode précédent. Jacob est un patriarche, mais avant de l’être il est d’abord le fils d’Isaac et de Rebecca et le frère jumeau d’un homme nommé Esaü. Jacob dès sa naissance signale ses intentions en tenant le talon de son frère qui a eu la mauvaise idée de naitre en premier. Jacob lui tient le talon, Jacob le talonne de près. C’est pour cela qu’il s’appelle Jacob, le talon ou le talonneur, qui parfois fait des talonnages à la main ce qui en rugby et comme chacun sait est tout à fait illicite ! Mais Jacob n’a pas vraiment de règles dans la vie et il ne va pas s’arrêter là. Il va aussi lui usurper son droit d’ainesse et détourner la bénédiction du père Isaac en sa faveur. Jacob réussit à tromper le frère mais aussi le père ! Il porte bien son nom qui veut dire aussi le trompeur ou l’usurpateur. Mais Jacob le trompeur doit fuir parce qu’on finit toujours par être rattrapé par ses mensonges. Jacob doit mettre de la distance entre lui et son frère qui veut lui faire la peau.

L’échelle de Jacob

Et là premier moment de grâce et de révélation, le rêve de l’échelle de Jacob comme si Dieu lui ouvrait le ciel, comme si Dieu lui tapait sur l’épaule en lui disant, je suis là. t’es un fameux menteur Jacob, mais je peux et je veux faire de toi quelqu’un de bien et d’utile dans ce monde. Jacob est impressionné et comme tout le monde dans ces cas, il érige sur place pour immortaliser l’endroit, une sorte de cairn, un point de repère sur son chemin de vie. Un moment de grâce et il l’appelle Bethel maison de Dieu. « C’est vraiment un endroit où Dieu habite, le sanctuaire de Dieu. » Et c’est peut-être un peu changé qu’il continue sa route et arrive chez son oncle Laban.

Quand Jacob craque dans les bras de Rachel

Et là il craque pour une belle jeune fille qui s’appelle Rachel. Il sanglote même dans ses bras comme quoi l’amour d’une femme ou pour une femme fait ressortir ce qui a de bien dans l’homme (du moins au début, restons réalistes).

Mais il craque vraiment et peut-être que la faille de son insécurité profonde se révèle au grand jour. On ne veut pas trop le psychanalyser notre patriarche potentiel mais en tous cas, il est prêt à tout pour avoir celle qui le fait craquer. Et pour une fois, il va le faire par des moyens tout à fait licites. Il va en parler au père de Rachel et va passer un deal avec lui pour obtenir la main de sa fille. Il est prêt à travailler 7 ans pour Laban pour avoir Rachel.

L’arroseur arrosé

Et là commence l’épisode de l’arroseur arrosé. Jacob le trompeur est trompé par Laban qui lui sort une clause inconnue du contrat et rajoute des années de travail à Jacob pour avoir Rachel. Le trompeur est trompé ! On peut imaginer que cette expérience a provoqué quelque chose dans la vie de Jacob, une sorte de retour sur lui-même où il se dirait que ce que lui fait Laban c’est ce qu’il fait lui depuis sa naissance… Ce qu’il a fait lui à son frère, à son père et à lui-même. Mais rien ne laisse paraitre que Jacob ait changé. Jacob va trouver un stratagème alambiqué sur base de la couleur des brebis pour se sortir de ce mauvais pas et va fuir la vengeance de Laban… L’homme en fuite poursuit sa route mais cette fois avec femmes et enfants, serviteurs et troupeaux. Encore une fois on se demande si Jacob a appris quelque chose de la vie? Jacob est-il le même homme ? Jacob a-t-il appris sur lui, sur sa manière de fonctionner ? Bethel n’est-il déjà qu’un lointain souvenir ? Dimanche dernier, on s’est posé la question de savoir si Jacob était un cas désespéré comme on en rencontre en sociologie ou en psychiatrie et effectivement à vue humaine on pourrait se dire que Jacob n’est pas dans une progression exponentielle, il semble faire un peu de surplace ! Mais Dieu n’en a pas fini avec lui, et il va provoquer un deuxième grand moment dans la vie de Jacob. Un moment déterminant, un deuxième Bethel.

Retour en zone… de conflit

Et donc Jacob quitte Laban et la Mésopotamie. Jacob retourne dans le sud où il va passer dans le territoire de son frère Esaü. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’il va retourner en plein dans une zone de conflit ! Il vient de quitter un conflit avec Laban qui aura duré 20 ans, vingt de conflits avec son employeur qui est aussi son beau-père, mélange pour le moins éprouvant ! Jacob survit à ce conflit mais s’enfuit pour retrouver un autre conflit non résolu. Celui avec son frère c Esaü. Il l’avait fui mais il lui revient en pleine face.

D’autant qu’il apprend qu’Esaü vient à sa rencontre avec 400 hommes pour « embrasser son frère jumeau » dit-il. Quatre cents hommes pour une embrassade, ça fait beaucoup de monde ! Jacob est mal, très mal. 32 :8 « Jacob eut très peur, l’angoisse le saisit. »

Le texte veut nous indiquer que Jacob se retrouve en face du conflit de sa vie, en face de son frère, en face aussi de lui-même, de son passé, et il va faire comme il sait le faire, il va organiser une tactique pour ne pas trop perdre dans ce conflit. Vous pourrez lire la tactique de Jacob au début du chapitre 32.

La lutte de Jacob

Mais ce qui est plus intéressant que les tactiques d’évitement de Jacob c’est de voir que c’est là au beau milieu de ce conflit avec son frère, que Jacob va entrer en conflit avec un ange qui semble être Dieu lui-même. C’est là l’épisode unique de l’histoire biblique, un homme qui lutte avec Dieu. C’est là dans ce conflit avec Dieu, que la vie de ce Jacob, cet homme en démêlés avec la grâce et en conflit avec le monde entier, va prendre un virage à 180 degrés.

Le récit le dit bien, ce combat ne contient qu’un round mais quel round. Un combat tout à fait extraordinaire, un peu étrange il faut l’avouer mais magnifique. (Voir encore une fois le magnifique tableau de Chagall). Mais dans cette histoire, Quelqu’un faisait remarquer qu’il ne fallait pas se tromper de héros : ce n’est pas Jacob mais bien Dieu. C’est lui qui prend l’initiative du combat, qui prend l’homme à bras le corps et qui en perdant le combat lui donne une leçon, une leçon de vie. Trois mots pour parler de ce combat. Trois mots qui ont trait à la personne de Jacob.

La face

Le premier est le mot « Face ». Tout le récit joue sur le mot « face » (panim en Hébreu) qui n’est pas loin de la notion de personne. Après avoir combattu, il dit « j’ai vu Dieu face à face » (panim el panim) et il appelle le lieu Peniel (face de l’Eternel).

Face à Face avec Dieu

Ce combat en face à face montre que le problème le plus fondamental de Jacob se situe non pas dans son conflit avec Esaü mais dans son rapport avec Dieu. Et c’est ce problème-là, qu’il lui faut d’abord régler avant de pouvoir résoudre son conflit avec son frère. Et il le règle dans cette bagarre avec Dieu à Peniel. Parce que c’est dans cette bagarre avec Dieu dans ce face à face et ce corps à corps que le masque tombe, son masque de trompeur en manque de bénédiction se détache. La comédie de sa vie où il essaye de s’en sortir en mentant aux autres et à lui-même est révélée au grand jour de la présence de Dieu, de sa bénédiction et de sa grâce. On peut dire que dans ce combat, il a été touché par la grâce, il a été sauvé ! « J’ai vu Dieu face à face et mon âme a été sauvée » v31.

Face à face avec lui-même

Et on peut dire aussi que dans ce face à face avec Dieu, Jacob se retrouve lui-même. Parce que dans un face à face, si je compte bien il y en a deux. Il y a la face de Dieu, le visage de Dieu sa personne, sa présence et la face de Jacob aux multiples facettes, mais dans ce face à face avec Dieu c’est Jacob dans toute sa personne, le véritable Jacob avec ses failles et ses manques qui se révèle et qui est touché par Dieu dans son être le plus profond. Dans cette lutte Jacob a rencontré Dieu mais s’est retrouvé aussi lui-même.

Un moment de vérité pour Jacob. Et à partir de là les choses vont changer et la première chose qu’il va faire c’est se réconcilier avec Esaü, le frère ainé qu’il a trompé tout au long de sa vie. Ce face avec Dieu, ce combat avec Dieu qui fait tomber les masques lui permet de faire face au conflit avec son frère Esaü.

Face à face avec son frère

C’est un autre face à face qui commence. On le voit déjà en 32 :21 « Jacob cherche à apaiser la face d’Esaü pour pouvoir le voir en face. »

33 :10, Jacob dit à Esaü « Accepte mon présent car je t’ai vu en face comme on regarde la face de Dieu et tu m’as accueilli favorablement. » Jacob joue de nouveau sur le mot « face » en soulignant que s’il a pu regarder Esaü en face et être bien accueilli par lui c’est parce qu’il avait d’abord vu la face de Dieu.  Jacob a bien conscience mais c’est nouveau pour lui, que si Esaü l’a accueilli favorablement c’est parce que Dieu l’a accueilli favorablement. Jacob reconnaît enfin que c’est grâce à l’intervention divine (et non ses propres tactiques) que l’attitude de son frère a pu être fléchie et qu’il a changé dans sa relation avec lui. Jacob, en démêlé avec la grâce, reconnaît dans cette lutte avec Dieu que c’est Dieu qui intervient dans la vie de son frère et dans la sienne. Il reconnaît dans la lutte corps à corps et face à face avec Dieu, la grâce de Dieu dans sa vie.

« Esaü courut à la rencontre de son frère… les deux pleurèrent. » On pleure beaucoup dans l’histoire de Jacob, mais là ce ne sont plus des larmes de fatigue nerveuse dans les bras de Rachel mais des larmes de libération. Cet épisode illustre magnifiquement à mon sens cette parole de Jésus dans l’Evangile de Jean « La vérité vous rendra libre » (Jean 8 ). Ce Jacob n’était pas libre ! Depuis le plat de lentilles, il était prisonnier de son personnage et de ses mensonges. Et puis il y a ce combat face à face avec Dieu. Au contact de la vérité de ce qu’il est devant Dieu, il se libère de son rôle de menteur et devient aussi libre de se réconcilier avec son frère. Un face à face qui permet de faire face à la vie !

Le coup de la hanche

Comme d’habitude, Jacob lutte pour obtenir ce qu’il veut. Il réclame la bénédiction !

« Personne ne sort tant que je ne suis pas béni », dit-il à son vis-à-vis. C’est tout à fait le style de Jacob. Cela me rappelle le surveillant au collège qui nous disait : « Personne ne sort tant que le coupable ne se sera dénoncé. » Ça ne marchait jamais mais avec Jacob cela semble fonctionner mais au prix d’une blessure. Une blessure à la hanche, une blessure de Jacob à la hanche qui va la handicaper toute sa vie puisque le texte nous dit qu’il sortit boiteux de cette histoire. Et toute sa vie Jacob se rappellera ce combat avec Dieu qui restera marqué dans sa chair comme un signe de l’humilité nécessaire devant Dieu. Il est peut-être sorti vainqueur du combat mais c’est une victoire qui laisse des traces qui rendent terriblement humble.

Jacob marche différemment

Quand on pense que la Bible se sert très souvent du verbe « marcher » pour décrire la conduite d’un homme ou son comportement dans la vie « marche droit, marche selon Dieu, marche dans l’injustice », on comprend peut-être mieux le sens de cette blessure à la hanche pour Jacob. Il ne marche plus de la même façon. Avant cette nuit, Jacob marchait encore comme il entendait mener sa vie selon ses propres schémas, maintenant il marche en s’appuyant sur un bâton, peut-être en s’appuyant un peu mieux sur Dieu, en tous cas dans une relation de dépendance avec lui.

Une blessure donnée par Dieu !

On entre dans la pédagogie de Dieu qui nous dépasse souvent. Les kinésithérapeutes se demandent comment un Dieu d’amour peut toucher quelqu’un dans son appareil locomoteur, alors qu’ils essayent eux de les soigner. Je n’ai pas toutes les réponses, mais ce qui est sûr c’est que Dieu a en vue le changement du cœur de Jacob parce qu’il est porteur de la promesse, parce que Dieu a pour lui un avenir fait d’espérance. Alors il intervient dans sa vie, en l’occurrence par une blessure qui lui fait mal, qui le brise peut-être, qui atteint sa fierté de l’homme qui marche tout seul.

J’oserai un parallèle avec cette parole de Jésus « Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache le, car il vaut mieux arriver borgne dans le royaume des cieux qu’avoir ses deux yeux et d’être dans la géhenne… loin de Dieu. » Cela fait partie des paroles radicales de Jésus. Tout comme cette blessure à la hanche de Jacob nous parait un peu radicale et surtout douloureuse. Mais il vaut mieux être boiteux et s’appuyer sur Dieu que d’avoir ses deux hanches et de marcher sans Dieu durant toute sa vie.

Mais Jacob a lutté avec Dieu qui lui a donné un coup à la hanche et voilà que Jacob devient Israël.

Le changement de nom

Vous avez remarqué qu’en plein milieu du combat Dieu pose une question à Jacob « Quel est ton nom ? » Cela ne se fait pas sur un ring ! Mais en lui demandant son nom, Dieu le met devant la réalité de sa vie « la tromperie, la ruse ». Un moment de vérité pour Jacob. Un moment difficile pour lui, ou toutes ces tromperies et ces conflits défilent devant lui en accéléré comme le film de sa vie.

Mais moment de grâce encore : Dieu change son nom, il devient Israël (Il lutte avec Dieu), c’est là le point crucial de sa vie, l’homme de conflits en tout genre finit par lutter avec Dieu et à s’en sortir de ce conflit avec Dieu tout à fait changé et c’est là que se situe la victoire. Je ne sais pas trop comment décrire cette victoire, mais il me semble qu’elle se situe du côté de la grâce de Dieu. C’est elle la gagnante dans l’histoire parce que Jacob devient Israël et il laisse Dieu prendre les commandes de sa vie…

Et pourtant, la Bible continue de l’appeler Jacob, deux fois plus souvent qu’Israël, peut-être pour indiquer que Jacob n’a pas encore terminé l’école de la grâce. Le travail de Dieu ne sera jamais complètement terminé qu’au jour de Jésus Christ quand nous le verrons face à face ! Le changement chez Jacob n’est pas une ligne croissante et continue, elle serait plutôt en pointillés avec des zones de foi, des zones de non foi, des bonds en avant et des retours en arrière. Un peu comme notre chemin à nous n’est-ce-pas ?

Bethel et El Bethel

Il est beau de voir qu’un peu plus tard Jacob revient à Béthel où Dieu va encore une fois confirmer sa promesse (Genèse 35 : 1-7) et Jacob Israël va appeler ce lieu El Bethel. Comme si le EL final de Bethel ne suffisait pas, il en ajoute un au début « Dieu la maison de Dieu ». Comme une marque de consécration : ma vie mon histoire est vraiment la maison de Dieu. Je suis le sanctuaire de Dieu, et il me change à l’intérieur !

Et je me dis que ce que Dieu a fait avec ce Jacob, le trompeur. Il peut le faire avec chacun d’entre nous. Que vous soyez rusé, retors, manipulateur, orgueilleux, égoïste, teigneux, colérique, angoissé, amer, énervé, j’en passe et des meilleures. J’ai pris les adjectifs les plus pointus que j’ai trouvés non pas pour dire que nous sommes tout cela à la fois et en même temps. Non bien sûr, mais de temps en temps, nous puisons dans ce registre-là et nous jouons si bien le rôle !

Péniel et nous…

L’histoire de Jacob nous invite dans un premier temps, à Béthel, à ne pas nous considérer comme des cas désespérés mais aussi dans un deuxième temps, à Péniel, à ne pas refuser le combat d’un face à face avec Dieu où les masques tombent. Un moment de vérité avec Dieu parfois douloureux mais qui permet à chacun de reprendre la marche de la vie mais cette fois dans le bon sens, sans fuir mais en cheminant avec Dieu, celui qui nous touche par sa grâce transformante, et son amour éternel.

Trois phrases pour résumer cet épisode inédit de la Bible ce combat de Jacob.

– Le moment de vérité qui rend libre.

La vérité sur moi par-delà le masque. Vérité de mon besoin d’être accueilli par Dieu. Abandon de mes mensonges sur moi pour retrouver la liberté d’être vrai.

– Le face à face avec Dieu pour faire face à la vie.

J’ai besoin d’être touché par la grâce de Dieu pour faire grâce à mon tour aux autres. J’ai besoin de recevoir le pardon de Dieu pour pardonner aux autres, j’ai besoin de l’accueil de Dieu pour accueillir les autres, j’ai besoin de retrouver ma valeur en Dieu pour pouvoir valoriser les autres. J’ai besoin d’un face à face avec Dieu, régulier pour faire face à la vie.

– Le changement qui change tout.

Ce toucher de la grâce nous fait entrer dans un processus de transformation que l’apôtre Paul appelle une métamorphose comme pour le papillon. Un changement pour devenir toujours plus à l’image de son fils. Ce qu’il a commencé en nous, il va en poursuivre l’achèvement jusqu’au jour de Jésus Christ.

Dieu est fidèle, jamais il ne nous lâchera. Que cette promesse vous accompagne ! Que la grâce de Dieu repose sur vous !