Il est midi. La chaleur est étouffante, la lumière aveuglante. Jésus est fatigué du chemin. Il s’assied au bord d’un puits…
On se demande pourquoi il a accepté de passer ainsi par la Samarie alors qu’Il pouvait rejoindre la Galilée par les bords du Jourdain, accepté de souffrir de la fatigue, de la chaleur et de la soif…
Une femme samaritaine est arrivée et s’apprête à puiser de l’eau sous le soleil brûlant. La suite de la rencontre nous apprend que l’heure inhabituelle n’était pas le fruit d’une fantaisie de sa part. Midi étant l’heure où le plus grand nombre se réfugie à l’abri du soleil dans la pénombre et la fraîcheur des maisons, elle, « la femme de mauvaise vie » évitait ainsi les insultes, les outrages voire les violences des bien-pensants et « bienfaisants » du village.
Il reste que la contrainte de ses besoins l’obligeait malgré tout à sortir, tout comme la fatigue et la soif avaient conduit Jésus à s’arrêter au bord du puits. Cette rencontre semble être le fruit d’un double mouvement : d’un côté les contraintes des corps obligeant à des comportements, de l’autre, le choix de Jésus-Christ de passer par la Samarie ; avait-il « rendez-vous » avec cette femme ?
En tout état de cause, l’évangile nous présente ce choix comme une nécessité. « Celui qui est au-dessus de tout » (JEAN 3) choisit cette rencontre dans une humanité partagée. Besoin d’eau, besoin de sécurité en raison de relations sociales difficiles pour la Samaritaine, besoin d’eau et de repos pour Jésus. La rencontre avec Jésus n’est pas magique, elle se produit au cœur de nos circonstances et de nos spécificités humaines. Jésus vient et nous aborde là. Nos choix, nos besoins, nos peurs, nos souffrances, nos représentations ou nos convictions sont le terrain sur lequel Jésus-Christ vient nous apporter… que vient-il nous apporter ?
Il ose sortir des recommandations de bonnes pratiques sociales et religieuses données par les technocrates de la religion bien-pensante et se permet d’interpeller une femme, lui un homme, une Samaritaine, lui un juif, une femme « facile », lui le juste. Il vient et prétend désaltérer de manière radicale celle qui semble avoir la possibilité de lui donner de l’eau. Lui qui est fatigué et isolé, il prétend remplir la vie de cette femme et de son compagnon.
La rupture dans laquelle il s’inscrit est pour moi le reflet de la rupture dans laquelle s’inscrit la relation à Dieu. Mais cette dernière ne peut se produire qu’à la condition que la relation débute dans une rencontre banale, marquée par l’humanité de chacun. La parole de Jésus-Christ s’inscrit dans le quotidien de l’un comme de l’autre. C’est là qu’Il nous appelle pour un premier entretien. C’est là que nous pouvons expérimenter les premiers moments de respect, de considération, d’intérêt de l’autre, au-delà des conventions et des lois. C’est là que les échanges que nous avons avec Lui nous restaurent, nous libèrent voire nous guérissent, première gorgée de l’eau que nous puisons en Lui.
De cette position, Jésus nous invite dans les décalages et les quiproquos qu’Il sait provoquer et nous appelle à sortir de nos lieux communs, de notre quotidien, de ce qui nous a fait jusque-là. Il nous introduit dans un monde où nos représentations et nos perceptions sont dépassées.
La révélation divine les transcende. L’eau vive devient source quand nous acceptons que Dieu et la vie qu’Il nous donne ne peuvent se lire ni se percevoir avec nos vieux modèles. Le travail de l’Esprit nous dépasse et sa vie nous transforme en passeurs de vie. Nous n’avons plus soif même dans le manque et dans la fatigue. Dans cet espace, nous n’avons plus peur et des relations nouvelles peuvent se nouer avec « les gens du village ». Notre relation avec nous-même, avec les autres, avec le monde est bouleversée. Et pourtant, nous avons toujours soif, nous avons toujours faim, nous avons toujours besoin de repos.
Jésus vient nous rejoindre dans nos vies et pas ailleurs. C’est le premier cadeau qu’Il nous fait. Nous n’avons pas besoin d’être différents pour qu’Il frappe à notre porte. Mais quand la porte est ouverte, il nous invite à prendre une dimension dont nous n’avons pas idée, celle de la participation à la source d’eau vive qui désaltère celui qui vient s’y abreuver.
Gérard Bezin