Nous connaissons tous cette invitation lancée par Jean-Paul II prononcée pour inaugurer son pontificat lors de son intronisation en 1978. « N’ayez pas peur ! Ouvrez toute grande les portes au Christ ». « N’ayez pas peur d’être trop grands « pardonneurs » nous dit plus tard le nouveau pape François lors du discours d’ordination de séminaristes au Vatican.
« N’ayez pas peur », formule biblique que l’on relève en trois cent soixante-cinq circonstances dans les Ecritures. Pourquoi donc ces injonctions ? Aurions-nous de bonnes raisons d’avoir peur ?
Dans un article publié dans « Contrepoint philosophique », site de réflexion animé par deux professeurs de philosophie de l’université de Lausanne, Grégoire Traoré, enseignant chercheur à Bouaké en Côte d’Ivoire, compare le positionnement de deux philosophes, Hans Jonas philosophe Allemand du début du XXème siècle et Hans Achterhuis, philosophe contemporain né aux Pays-Bas. Tous deux se questionnent sur le rôle de la peur dans le développement de nos sociétés. Leurs points de vue sont différents quant aux conséquences que ce sentiment entraîne dans nos sociétés mais ils se rejoignent à mon sens dans le constat que l’on retrouve dans la pensée de Hobbes décrite par l’auteur de l’article : « La peur chez Hobbes, il faut le souligner, est le paradigme fondamental à partir duquel une société peut parvenir à se consolider ». Il semblerait donc que la peur soit un des fondements de toute démarche de progrès au sein de nos sociétés.
Dans sa dimension individuelle, nous comprenons que la préoccupation de chacun puisse être marquée par la recherche de sécurité, dans le pouvoir, les richesses, la grandeur…. En fait, je pense que l’homme se fait violence en renonçant à la part de lui-même tournée vers sa vocation fondamentale : être en Dieu et y trouver la sérénité en s’ouvrant à la réalité divine éternelle pour laquelle il a été créé.
Les appels bibliques prennent alors tout leur sens : Dieu, nous invite à échapper à la logique de la peur inhérente à la condition de l’homme face à la nature ou à lui-même sans passer par la recherche de sécurité dans la science ou la posture d’anticipation que décrivent Achterhuis ou Jonas, quelle que soit la pertinence de leur réflexion.
Où donc allons-nous trouver notre sécurité ? Cette place en Dieu accordée à tout homme qui en fait la demande vient le loger dans un lieu de permanence hors de l’espace et du temps marqué par son Amour, essence de la nature divine.
Que pouvons-nous en déduire ?
Comme nous y invite Jean-Paul II, nos frontières peuvent s’ouvrir et à la suite du pape François, nous pouvons nous « payer le luxe » d’être « trop grands pardonneurs ». Il n’y a plus de risque à nous ouvrir à l’Autre avec un grand A. Cet Autre qui est Dieu lui-même et cet Autre prochain dont E. Lévinas nous dit qu’il est plus important que nous et que le rencontrer n’est pas une menace mais nécessite de nous aliéner. En sécurité dans l’espace divin, notre vie est en Lui, notre être se construit par Lui, notre liberté se vit en Lui. Aucun risque dès lors d’être juif avec les juifs, grec avec les grecs…, faible avec les faibles… Paul s’était fait tout à tous pour en sauver quelques-uns.
Aucun risque dès lors d’être Charlie avec Charlie bien que leurs caricatures me heurtent parfois ; aucun risque dès lors de marcher avec les musulmans, les catholiques et les juifs pour manifester publiquement notre volonté de vivre ensemble. Le monde a peur et la marche citoyenne rassemblant plus de 4 millions de personnes n’y change rien ; l’avenir est marqué par l’ignorance de ce qui nous attend et la mort est au bout ! Mais cette marche est porteuse d’un message auquel nous pouvons nous associer pleinement : c’est dans le respect de la différence de l’Autre et de ses libertés que nous pourrons vivre ensemble.
J’ajouterai que c’est dans l’accueil de l’Autre comme l’entendait E. Levinas que nous pourrons faire entendre le message divin « pour en sauver sûrement quelques-uns ».
G. Bezin