Le récit de cette rencontre se retrouve dans les trois synoptiques – Mt 19.16-30, Mc 10.17-31, Lc 18.18-30 – mais nous suivrons ici le récit de Marc. Il nous apparait en effet avoir eu l’art de faire ressortir le caractère dramatique de cette rencontre ratée entre cet homme riche et Jésus.
Voici un homme dont la sincérité de la quête spirituelle ne peut être mise en doute. Jésus est déjà en route mais peu importe : il court à sa suite et, l’ayant rattrapé, se jette à ses pieds. L’homme lui pose la seule question qui, au fond, importe : celle de la rencontre avec Dieu, qu’on l’appelle «héritage de la vie éternelle », « entrée dans le royaume de Dieu » (v.23), ou « salut » (v.26).
Oui, voici un homme qui a soif de Dieu et ne se satisfait pas de l’obéissance aux commandements. En effet, quand Jésus le renvoie à la deuxième table du Décalogue (v.19), celui-ci confesse qu’il n’a rien à se reprocher à cet égard (Paul dira de même en Php 3.6). Mais cette observance là ne suffit pas, cet homme le sait bien. Et Jésus lui confirme qu’il lui manque quelque chose (v.21b). Marc apporte ici une précision, unique dans l’Evangile, qui rend d’autant plus dramatique l’échec de la rencontre qui va suivre : Jésus, lui le Fils de l’homme en marche pour Jérusalem où il va « donner sa vie en rançon pour beaucoup » (v.45), « posa sur cet homme un regard plein d’amour » (v.21a).
La réponse de Jésus v.21b est à première vue étonnante : à cet homme qui souligne l’insuffisance de la Loi, Jésus lui oppose un commandement ! Mais, en vérité, celui-ci est différent : c’est un appel à l’obéissance qui vient toucher exactement là où cet homme en a besoin. Oui, Jésus met le doigt sur ce qui empêche cet homme de rencontrer Dieu, et donc de le suivre : l’attachement à ses richesses. Le cœur de l’appel de Jésus est en effet l’appel à le suivre. Ainsi, vendre ses biens n’est pas, en soi, ce qui lui achètera son salut. Mais, pour ce qui le concerne, ses richesses font obstacle entre lui et le Seigneur. Il lui faut donc d’abord y renoncer.
Cet homme cherchait sincèrement à rencontrer Dieu, mais la condition de possibilité de cette rencontre n’est pas acceptable pour lui (v.22). Gardons-nous bien de lui jeter la pierre ! Car l’engagement est bel et bien trop coûteux humainement (v.27). La richesse de cet homme n’est en effet pas qu’un confort matériel, c’est toute une identité, un statut social, un sentiment de confiance, de sécurité.
Aussi nous retrouvons nous dans la réaction des disciples (v.24, 26), et demandons avec eux : « mais alors, qui peut être sauvé ? » (v.26). « Aux hommes, c’est impossible, mais non à Dieu. Car tout est possible à Dieu » (v27). Si Jésus a mis cet homme face à son incapacité humaine, c’était pour le décourager de compter sur ses propres forces pour le suivre, mais non pour le décourager de le suivre. Jésus voulait faire de cet homme un disciple, mais il lui fallait accepter de ne dépendre que de Dieu, comme un enfant (v.16).
Jésus veut aussi faire de nous ses disciples, mais il se peut bien qu’il y ait une « chose » qui fasse obstacle entre Lui et nous et dont il faille nous débarrasser. Peut-être est-ce aussi la confiance liée à notre situation sociale… Mais cela peut être bien d’autres choses : nos capacités, notre expérience, etc. Chacun peut demander au Seigneur de le lui révéler pour lui-même.
Remarquons que cet homme n’a pas, manifestement, compris l’identité de celui qui l’appelait au renoncement (v.20): le Bon Maitre, Dieu lui-même (v17). Aussi avons-nous besoin d’être ancrés dans l’assurance que celui qui nous appelle est le Bon Maitre, Dieu lui-même. Et soyons aussi certains que rien n’est impossible à Dieu. Ainsi rassurés, et libérés de notre absolue incapacité humaine, nous serons à même de Le rencontrer… Et cette rencontre est promesse de recevoir bien au-delà de ce à quoi nous avons renoncé à cause de Lui (v.29-30)
Marjorie Legendre.