« Tu déploies les cieux comme une tenture… à ta menace les eaux ont fui, affolées… Il abreuve les montagnes… la mer, grande et vaste de tous côtés… tous comptent sur toi… Tu caches ta face, ils sont épouvantés, Tu leur reprends le souffle, ils expirent… Tu envoies ton souffle, ils sont créés… bénis le Seigneur, mon âme, Alléluia »
Les mots manquent et la raison est insuffisante pour peindre la grandeur et la gloire de Dieu, contraignant le psalmiste à user d’un langage métaphorique.
Le monde est une maison vivante et Dieu l’a créée pour déployer la vie sous sa protection. A son image, la nature nous dépasse. Le ciel, la terre, la mer peuvent nous menacer dans nos fragilités, à tel point qu’il nous a paru indispensable d’inventer une maison à l’image de nos peurs, en murs de béton, figée, nous isolant du monde dans lequel nous sommes appelés à vivre. « La peur chez Hobbes[1], il faut le souligner, est le paradigme fondamental à partir duquel une société peut parvenir à se consolider[2] ». Il semblerait donc que la peur soit un des fondements de toute démarche de progrès au sein de nos sociétés. Et nous voilà oubliant que l’eau des sources envoyée par Dieu abreuve l’âne sauvage, abrite l’oiseau du ciel, que la terre rassasie les arbres et produit le pain cultivé par l’homme. Sous le regard de Dieu, l’homme se situe dans un partage permanent avec les habitants et les murs de la maison-monde. Sans le regard divin, l’homme s’isole de la vie.
Pourtant, comme il se doit, le psaume 104 suit le psaume 103, psaume de louange, comme lui, adressé au Seigneur de l’Alliance, l’Eternel, Maître de l’histoire comme lui. Et là, surprise !
Le Dieu de la terre me couronne de fidélité, de tendresse, de miséricorde et de bienveillance. La relation avec le créateur me fait vivre de tendresse dans la proximité de sa chaleur et de sa puissance invitant mon âme à chercher la face de Dieu en s’interpellant elle-même : « Bénis le Seigneur, mon âme ». Me voilà décalé. Je ne peux limiter mon regard au monde qui m’entoure et, pour me permettre de le dépasser, Dieu s’adresse à mon cœur. L’amour qu’Il a pour moi me transcende et m’appelle à replacer la maison de mon habitation sous la houlette de Celui qui la domine. Je reste fragile, poussière et mes jours sont comme l’herbe (Ps. 103). Mais en m’interpellant moi-même, je replace les questions qui me taraudent dans la perspective du regard tendre et bienveillant de Dieu. Et je choisis…
Je choisis de placer ma vie sous la tenture des cieux, à l’abri de l’eau des sources, fleur qui passe et que l’on oublie… sauf Dieu qui sait bien de quelle pâte je suis fait et qui place en moi, petite étincelle divine, la pensée de l’éternité. Alors j’habite la maison, je la transforme et maintiens sa beauté, je bois son eau et me nourris de sa richesse, je la parcours des ravins à la tenture des cieux. Mais Celui qui vit au-dessus d’elle me rappelle par son regard sur moi que je vis au milieu d’elle. Me voilà donc un élément parmi d’autres, au sein de cette maison vivante ; les murs ne m’appartiennent pas et mes colocataires non plus. La capacité de transformation qui m’a été donnée et que j’ai développée ne me donne ni la place ni le pouvoir du créateur mais elle me confère une responsabilité : celle de prendre soin de la maison, tout comme le Seigneur de l’Alliance prend soin de moi, déployant sa tendresse envers moi (Ps. 103).
Je vis aujourd’hui grâce à elle. J’y ai ma place. Mais il ne faudrait pas que je perde de vue ce qui pourrait se révéler, me semble-t-il, une évidence ! En oubliant ma place, en imposant à la maison vivante dans laquelle je me trouve une domination sans partage (au sens propre du terme), en perdant de vue que ma condition, pour belle et enviable qu’elle soit reste poussiéreuse et précaire, je risque bien par ma folie, de causer ma fin et celle de mes colocataires.
Gérard Bezin
[1] Thomas HOBBES, philosophe anglais, 1588-1679, un des fondateurs de la philosophie politique moderne.
[2] Dr TRAORE Grégoire, L’heuristique de la peur et les contresens de la modernité, article paru dans Contrepoint philosophique, 8 fév. 2009.