Soutien à l’Ukraine

Abraham et l’effronterie de la foi

Abraham est « La » figure de l’Ancien Testament. C’est le modèle le plus accompli de l’homme de foi. A ce titre, il reste encore aujourd’hui le modèle des croyants. Il représente une figure paternelle de l’humanité et c’est la place que lui donnent les auteurs du nouveau testament : la paternité d’Abraham ne repose plus sur des critères généalogiques mais Abraham devient le père de tous ceux qui imitent ses œuvres et se reconnaissent dans la grande descendance que Dieu lui avait promise[1].

En ce qui concerne le contexte historique, il est intéressant de remarquer que cet épisode n’est que la suite de choix et de promesses entre cet homme d’exception et Dieu lui-même. Sur la base de la promesse, Abraham s’installe sur la montagne, au-dessus du pays que Dieu réserve à sa descendance. Il le domine mais n’en profite pas, il le voit mais renonce aux richesses de la plaine (Gen. 13). Il définit par là la posture de l’homme devant la vie et devant Dieu dans le renoncement à « l’ici et maintenant » pour l’installer dans le « pas encore ». C’est sur cette base que Dieu va lui faire un serment : la naissance d’un fils qui continuera sa lignée ; à travers elle, Il signifie à Abraham qu’Il l’installe dans le futur tout en répondant aux préoccupations affectives et culturelles de son présent. Le fils continuateur de sa lignée est porteur des espérances de la tribu mais l’inscrit dans la perspective plus large d’un pays pour sa descendance.

C’est en s’inscrivant dans cette parole qui engage son présent et marque son futur, le prix de la vie pour le présent et le refus des richesses de Sodome pour le futur (Gen. 14), qu’Abraham pourra libérer le prisonnier Lot et ses contemporains. Et c’est à cause de cette parole que Dieu pourra élargir sa promesse. Il le fera en étendant sa paternité de ce qui sera son peuple jusqu’à une multitude de nations.

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Abraham laisse à Lot les richesses de Sodome.

Son intercession pour Sodome au chapitre 18 est à replacer dans cette perspective ; elle est possible en raison de son renoncement répété aux richesses de Sodome et de son ouverture à la promesse divine en tant que père d’une multitude de nations. Elle est rendue possible car Abraham s’est accroché à la parole de Dieu, se l’est appropriée pour lui donner un relief particulier : le salut de ceux que Dieu lui avait promis comme descendance. C’est là que réside le pari de la foi ; cet homme a saisi le cadeau divin et l’a transformé en cadeau pour l’humanité. Il a désiré le salut pour ceux qu’il pouvait revendiquer, bien que n’étant pas de sa descendance physique, au nom de la parole divine. Pour ce faire, il prend Dieu au mot, s’appuie sur sa promesse et s’autorise à repousser les limites que Dieu avaient lui-même établies pour sauver les peuples « dont le péché est si lourd »(v.21). Il transforme le projet de Dieu en demande de bénédiction. La vision qu’il s’est faite de la promesse divine lui permet de dépasser son intérêt propre pour se placer radicalement dans la perspective de l’intérêt d’autrui, fusse-t-il pécheur plus que tout autre dans le pays. Dans cet échange Abraham revendique beaucoup plus que le pays de la promesse ; il veut que la liberté et l’intimité dans lesquelles Dieu le place viennent rejoindre ceux qui l’ignorent et qui ont choisi « l’ici et maintenant ».

Nous comprenons dés lors que Dieu qui se prépare déjà à sa descente sur terre pour s’approcher de ceux qui ne se préoccupaient pas de Lui et allaient le rejeter, accède aux demandes de celui dont il pouvait dire : « Cacherais-je à Abraham ce que je fais ?…car j’ai voulu le connaître… »( v17,18).

Il y a dans cette prière d’intercession la préfiguration d’autres prières : celle de Jésus sur la croix, « Père pardonne-leur car ils ne savent ce qu’ils font… » et celles des chrétiens qui sont appelés à prier pour le monde et pour leurs ennemis.

Tout comme Abraham, à l’écoute de la parole de Dieu, nous sommes appelés à nous saisir de ses promesses pour l’autre ; tout comme lui nous pouvons intercéder ; tout comme lui nous pouvons l’interpeller ; tout comme lui nous pouvons avoir le culot de lui demander de changer son plan. Abraham nous a appris comment faire… il ne nous reste plus qu’à l’imiter…

 

Gérard BEZIN

[1] TOB : introduction à la Genèse