2019, 2020, ont été des années particulièrement difficiles, sur bien des plans individuels et collectif. Vous avez connu des épreuves qui laissent des sillons dans la vie, et au moment où le besoin de se retrouver, de resserrer les liens, d’être ensemble devient primordial, voire vital, la covid19 s’invite et disperse, confine chacun chez soi. Pourtant vous êtes là, l’Eglise est là. Debout, avec cette volonté d’avancer, mais debout KO groggy…Et un retour à Dieu, à son amour est l’unique viatique pour nous aider à continuer sereinement notre route.
Mais comment concilier ce Dieu d’amour, et les circonstances présentes ? Dieu est amour……à oui ???
J’ai croisé des hommes et des femmes dont la vie a été comme crucifiée ; ils ont été atteints dans ce qu’ils avaient de plus précieux ; dans ce qui pour eux était sacré. L’épreuve les a frappés là où eux auraient donné leur vie. J’ai cru que certains ne se relèveraient jamais, que leur foi et leur vie étaient fichues. Mais non seulement, ils se sont relevés, mais ils se sont relevés plus forts dans leur confiance en Dieu et plus forts en humanité aussi. De l’épreuve où Dieu les avait conduits, ils sont sortis plus humains et plus croyants, plus proches des hommes et plus proches de Dieu. (Foi espérance et amour imbriqués, même si nous les abordons séparément).
Il n’y a pas de foi éprouvée, solide, mûre sans l’expérience de l’épreuve. Et surtout, n’appelons pas “épreuve” les petits soucis du quotidien. Les signes de l’épreuve, c’est le doute qui s’insinue ; l’obscurité qui nous tombe dessus. L’épreuve fait surgir des questions que jamais je n’aurais cru m’habiter. L’épreuve nous met devant Dieu, face à face, sans artifice, sans politesse, et nous crions notre incompréhension, notre sentiment d’injustice, comme au psaume 44.( tu nous a rejeté ;tu nous couvre de confusion, tu nous disperses ; tu nous déshonores, tu nous oublies…)
(Rm. 8:28-39 )
Et bien oui, malheureusement, il y a là des raisons de douter et de lâcher prise. Mais ce n’est pas l’Évangile qui est en cause, c’est plutôt une certaine théologie qui peut nous faire perdre cette notion de Dieu. Certains font le rêve d’un dieu qui règlerait les misères de l’homme sur la terre, un dieu qui nous protègerait quand on le prie ou qu’on se sacrifie pour lui, un dieu qui donnerait la santé et la richesse à qui est généreux pour l’Église et assidu au culte… Le problème de cette théologie est qu’elle cadre mal avec la réalité. Comme le dit l’apôtre Paul, et il est bien placé pour le savoir, les chrétiens ont aussi des malheurs. La souffrance, l’angoisse, les violences volontaires, la faim, la pauvreté, les catastrophes en tout genre, la mort, frappent avec une sereine injustice les hommes et les femmes, croyants ou incroyants, chrétiens ou non.
Et ceux qui ont choisi de ne pas chercher Dieu ont beau jeu de nous dire face aux catastrophes « Où est votre Dieu ? » (Ps.115) Et bien, ces athées ont raison sur ce point : ce dieu-là n’existe pas. Dieu ne pilote pas la nature et nos vie, comme un marionnettiste ses poupées, il y a une importante part de hasard et d’arbitraire dans l’univers mais qui n’échappe pas pour autant à Dieu. Or cela ne nous plait pas trop. Nous pouvons prendre certaines précautions pour faire face, mais cela n’est pas une garantie à 100%.
Certaines personnes croient avoir plus de chance grâce à une patte de lapin dans la poche ou en fonction de la date de naissance. D’autres croient ou font croire qu’en faisant partie de telle église ou avec telle médaille on aura plus de chance… Mais cela ne résiste pas à l’analyse : parmi les gens qui sont frappés par une même catastrophe, il y a des gens qui avaient des gris-gris et d’autre pas, des gens qui allaient à l’église et des athées, des personnes du signe du capricorne, ayant vu le jour durant l’année du dragon etc etc… Paul ne joue pas ce jeu de la superstition qui attirent de pauvres gens par de fausses promesses de protection et de guérisons. Paul nous dit que l’amour de Dieu est bien réel, mais que ce n’est pas cela qui empêchera que nous subissions, malheureusement, la souffrance, l’angoisse, la violence et autres catastrophes.
Certains chrétiens ont soutenu l’idée que Dieu tiendrait toutes choses dans ses mains, la pluie comme le soleil, la santé et la maladie, les tremblements de terre… Jean Calvin était un ardent défenseur de cette idée que rien n’arrive sans que ce soit déterminé par Dieu. Certains textes bibliques peuvent être compris dans ce sens, mais cela ne rend pas cette théorie meilleure. Elle est souvent une souffrance supplémentaire pour les victimes, et elle a fait perdre la foi à un nombre incroyable de gens. Ils perdent la foi en un dieu qui n’existe pas. C’est plutôt une bonne chose, en soi, de perdre une illusion, c’est comme cela que l’on devient un petit peu plus adulte, mais la désillusion peut être si cruelle que l’on en sort blessé.
Dieu nous aime pourtant d’un amour infini, nous dit Paul. Et s’il nous arrive une catastrophe, ce n’est pas parce qu’il nous aurait rejeté. C’est la première chose à savoir, et elle est essentielle.
La seconde c’est que Dieu peut vraiment nous aider quand nous sommes dans la souffrance. Il y a une telle puissance de création en Dieu, que nous pouvons être, nous dit Paul, « plus que vainqueurs par celui qui nous a aimé ». Ce n’est pas un vague rêve, au contraire, c’est une expérience. La souffrance peut démolir quelqu’un. Dieu, nous appelle à lutter pour faire reculer les souffrances dans le monde. Pour Dieu, la souffrance est un mal, mais, il n’empêche, même de ce mal Dieu peut faire sortir du bien. Tant qu’à faire de subir un problème, faisons en sorte d’en sortir grandi. Mettons-y nos propres forces, faisons appel à la solidarité, laissons Dieu nous aider… et sortons plus que vainqueur.
Paul ne s’interroge pas sur les responsabilités du mal qui arrive à quelqu’un. Dans l’urgence, il faut d’abord faire face, et la souffrance peut effectivement nous couper de ce que l’on pourrait appeler une bonne dynamique de vie. Et puis même si la victime était responsable de ce qui lui arrive, mériterait-elle qu’on la laisse tomber ? Dieu n’est pas comme ça, nous dit Paul. Et si Dieu a choisi de nous aimer, de nous justifier (c’est à dire de nous reconnaître digne d’être aimé, reconnu, encouragé, soutenu, sauvé), si Dieu lui-même prend notre défense qui oserait dire que nous n’en vallons pas la peine ?
Derrière cette magnifique tirade de l’apôtre Paul, on sent une colère, on sent un défi contre des personnes qui sous-entendrait que telle personne ne serait pas digne d’être soutenue, qu’elle a bien cherché ce qui lui arrive… Qui prétendez-vous être, nous dit Paul ? Vous vous croyez peut-être au-dessus de Dieu, pour désespérer de vous-mêmes, alors que lui vous voit déjà vainqueur ? Vous vous croyez peut-être supérieur à Dieu pour être l’ennemi des coupables, pour être source vous-mêmes d’une violence que vous croyez juste ?
Réellement, il existe une façon de traverser les difficultés sans en sortir aigri, diminué, abattu… mais au contraire bonifié et grandi… peut-être un peu boiteux à la hanche comme le Jacob mais grandi quand même dans notre qualité d’être, dans notre capacité à aimer et à espérer, dans notre capacité à être sensible à la souffrance des autres.
Paul commence par citer l’angoisse, cette souffrance intérieure, terrible, qui est peut-être la pire puisque notre ennemi se révèle être une part de nous-mêmes. Paul évoque ensuite les agressions, les trahisons, les conflits avec les autres. La souffrance peut venir de catastrophes naturelles ou d’accidents stupides… Dans tous les cas, nous dit Paul, Dieu ne nous abandonne pas, rien ne diminuera l’amour qu’il nous porte. Et même si nos propres forces nous abandonnaient, ou plutôt, précisément quand nos forces ne suffisent plus, Dieu peut ressusciter ce qui est mort en nous, réveiller nos propres forces, rétablir des connexions, et nous rendre plus que vainqueur.
Et c’est ainsi que Paul dit cette incroyable maxime : « toutes choses coopèrent au bien de ceux qui aiment Dieu ». Ce n’est pas une superstition, ce n’est pas pour justifier le mal qui nous arrive comme si c’était pour notre bien que Dieu nous faisait souffrir ou nous laissait souffrir. Mais, avec Dieu, même le mal qui nous arrive peut coopérer à notre bien. Dieu ne veut pas le mal, jamais, c’est un principe absolu. Mais comme le dit Joseph, le fils de Jacob, dans la Genèse : de ce mal que lui avaient fait ses frères, Dieu a fait sortir un plus grand bien. Dieu peut aussi faire sortir un bien des bonnes choses qui nous arrivent et des bonnes choses que nous faisons. Bref, Dieu peut faire que tout concoure au bien.
Si Dieu a une telle puissance de résurrection, qui pourra s’y opposer ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Personne d’autre, en fait que nous-mêmes, nous dit Paul : toutes choses coopèrent au bien… de celui qui aime Dieu. Paul ne dit pas que toutes choses coopèrent au bien de ceux qui vont à l’église, ou de ceux qui adhèrent sans restriction à telle ou telle doctrine, ou qui donnent de l’argent, ou qui sont gentils… Non. La question, c’est simplement de se laisser aimer par lui.
Paul nous dit que nous sommes aimés par Dieu, appelé, justifié, glorifié. Paul nous invite à considérer ce qui arrive à la lumière de cette réalité spirituelle. Cela change la façon dont nous pouvons vivre toute chose. Cet amour dont nous sommes aimés nous dit que chaque existence a une valeur infinie. Même blessée, même malade, même coupable, même au plus profond de l’angoisse ou de la souffrance, l’existence de chaque personne est légitime, parce que Dieu l’a aimée, parce qu’il l’aime et l’aimera. Il est donc essentiel d’apprendre à saisir cet amour de Dieu. Cela se travaille, cela s’entretient, se cherche. La question n’est pas de gagner cet amour, l’essentiel est de prendre conscience de cet amour, de se savoir aimé, appelé, justifié, glorifié par le créateur de la vie, comme le dit Paul, car alors rien ne pourra nous abattre, pas même la souffrance, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la pauvreté, ou le danger, ou les armes.
Là est la providence de Dieu, et elle est d’une puissance inestimable. C’est pourquoi Jésus nous propose de chercher dans la prière de nous ouvrir à son action créatrice par l’Esprit Saint (Luc 11:13 « Si vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vous enfants, à combien plus forte raisons, le Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demande ») ou nous ouvrir à son Royaume et sa justice (Luc 12:30-31 « Votre Père sait ce dont vous avez besoin ; cherchez plutôt son royaume et sa justice et tout cela vous sera donné par-dessus » car c’est comme cela que Dieu nous sauve.
Paul donne ensuite une deuxième série de choses qui pourraient nous couper de Dieu. Cette fois-ci il ne s’agit plus de choses purement négatives comme dans la première série, mais de choses qui sont comme des outils à double tranchant qui composent nos existences, des puissances tantôt utiles et tantôt néfastes. C’est pourquoi elles sont plus dangereuses que les maux de la première liste que nous pouvons combattre sans hésiter.
La mort et la vie forme la paire la plus redoutable. A quelques secondes près, un peu avant un peu après et j’aurais été quelqu’un d’autres, c’est à dire, que je n’aurai pas existé. Ma conception à la seconde près, aurait été tout autre. Je n’ai pas demandé à naître. Dans cette vie pourtant, hasardeuse, Dieu m’aime, et cette mort que je refuse, que je repousse, cette mort peut devenir victoire en Christ. Rien de ces deux « hasards » ne me séparent de l’amour de Dieu. Les anges et autres réalités spirituelles peuvent nous couper de Dieu. Nous pouvons entendre par ange, les messagers, messagers de l’Evangile de christ, et paradoxalement, la religion, le chrétien peut me couper de Dieu ou me permettre de m’en rapprocher. Notre rapport au présent et à l’avenir est également un point essentiel, pour vivre dans l’espérance mais sans quitter le temps présent. Les puissances. Nous sommes chaque jour émerveillés par les capacités de l’humanité, mais nous en sommes aussi tout autant épouvantés.
Paul mentionne enfin la hauteur et la profondeur : nos victoires et nos échecs, nos moments de plénitude ou de vide, d’élévation ou d’approfondissement, nos hauts et nos bas peuvent être utiles nous rendre Dieu visible ou invisible. Notre existence est ainsi un processus complexe dans lequel joue notre liberté. Les circonstances, les actions humaines et celles de Dieu, tout cela s’entremêle, en tout, et à tout moment. Ces tensions font de la vie ce qu’elle est, merveilleuse et tragique.
La providence de Dieu, c’est-à-dire son amour, nous rend capable d’accepter la vie, il nous permet d’assumer le caractère ambigu de toutes ces puissances formidables citées par Paul et d’en user comme nous le pouvons avec courage et créativité. Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur.
Amen.