1 Jésus se rendit à la montagne des oliviers. 2 Mais, dès le matin, il alla de nouveau dans le temple, et tout le peuple vint à lui. S’étant assis, il les enseignait. 3 Alors les scribes et les pharisiens amenèrent une femme surprise en adultère; et, la plaçant au milieu du peuple, 4 ils dirent à Jésus: Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. 5 Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes: toi donc, que dis-tu? 6 Ils disaient cela pour l’éprouver, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus, s’étant baissé, écrivait avec le doigt sur la terre. 7 Comme ils continuaient à l’interroger, il se releva et leur dit: Que celui de vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle. 8 Et s’étant de nouveau baissé, il écrivait sur la terre. 9 Quand ils entendirent cela, accusés par leur conscience, ils se retirèrent un à un, depuis les plus âgés jusqu’aux derniers; et Jésus resta seul avec la femme qui était là au milieu. 10 Alors s’étant relevé, et ne voyant plus que la femme, Jésus lui dit: Femme, où sont ceux qui t’accusaient? Personne ne t’a-t-il condamnée? 11 Elle répondit: Non, Seigneur. Et Jésus lui dit: Je ne te condamne pas non plus: va, et ne pèche plus.
Véracité du texte
L’ensemble de ce passage est absent de nombreux manuscrits, parmi lesquels les plus anciens et les meilleurs. Il est probable que d’après certains spécialistes, il ait été incorporé tardivement dans l’évangile de Jean. Il est toujours surprenant de voir certains textes qui nous paraissent peu importants ne fassent l’objet d’aucun doute sur leur authenticité alors que ceux que nous jugeons importants soient sujets à caution. Car ce texte nous touche et peut être plus profondément encore que nous voulons bien l’admettre.
Position de la femme
Il est tout de même curieux de voir ce récit s’appeler la femme adultère alors que de cette femme nous ne savons rien, elle ne prononce que deux mots. D’où vient-elle ? Quel est son nom ? Son visage ? La grande majorité des femmes qui s’approchent de Jésus le font de leur propre volonté. Elle non. Elle n’a pas besoin de le connaître, ne lui demande rien. Quelle est sa vie ? Là nous pouvons aventurer une hypothèse, elle est malheureuse. A cet instant bien sûr mais auparavant probablement. Comment ne pas penser au risque énorme qu’elle a couru en s’approchant d’un homme qui n’est pas son mari ? Elle devait parfaitement savoir ce qui lui en coûterait si elle était découverte. Et pourtant ce risque, elle l’a pris. Pourquoi ? Peut être parce que cet homme avait su l’aimer vraiment, la comprendre, la rassurer… Est-ce que cela n’est pas suffisant pour tout tenter ? D’ailleurs en parlant de cet homme providentiel, où est-il donc celui là ? Les pharisiens parlent de flagrant délit, il devait donc être présent. N’a-t-il rien tenté pour la protéger ? Ne veut-il pas mourir avec elle comme la loi le prévoit ? Il a sans doute mieux à faire. Peut-être est-ce un notable que les pharisiens veulent protéger. Et puis entre hommes on se soutient.
La position des femmes en ces temps reculés est intenable, en Palestine à cette époque, mais aussi dans la démocratie athénienne souvent considérée comme le berceau de nos démocraties modernes où elles n’ont quasiment aucun droit. Il y a eu quelques progrès depuis mais lents et difficiles. Le mouvement me too a brutalement mis en lumière des injustices inacceptables et ce dans tous les domaines. On est bien loin de l’harmonie parfaite entre l’homme et la femme que Dieu avait institué en Éden. D’ailleurs que pense donc Jésus de cette femme ? Nous n’en savons rien mais là aussi nous pouvons émettre une hypothèse. La loi dont parlent scribes et pharisiens est en Deutéronome 22 au verset 22 et le verset suivant parle d’une femme vierge, fiancée à un homme. S’il ont une relation hors mariage, ils doivent être lapidés. Cette situation ne vous rappelle rien ? Lorsqu’au début de l’évangile de Mathieu Joseph songe a rompre secrètement avec sa fiancée enceinte on ne mesure pas le risque qu’ils courent tous deux. Comment ne pas penser que le fils de Marie soit au courant ? Et qu’il ne soit pas touché par cette femme seule, abandonnée de tous, salie par les regards insistants du public autant que par sa propre faute.
Jésus écrit
Ce passage fascine parce que sur le sol Jésus écrit. Jésus Christ a fait l’objet au cours des siècles d’une quantité de publications sans précédent. Nous n’avons de lui que des paroles rapportées plusieurs dizaines d’années après sa mort et voici qu’il écrit. Nul doute que des spectateurs d’aujourd’hui se seraient précipités pour prendre une photo avec leur smartphone, mais hélas tout cela est perdu. De nombreuses représentation montrent Jésus écrire et on voit même sur cette toile de Poussin au Louvre l’étonnement des spectateurs fascinés par l’écriture du maître. Qu’écrit-il donc ? Le texte de la loi, un évangile perdu, une future parabole… les suggestions les plus farfelues existent mais aucune ne semble adaptée puisque nous ne savons rien.
Autrefois lorsque je voyais un élève griffonner sur un papier pendant mon cours, je le tançais vertement. Et je me suis rendu compte avec le temps que pour beaucoup cette attitude était une aide à la concentration. Jésus a entre les mains la vie de cette femme et peut être risque-t-il la sienne, il a donc bien autre chose à faire que d’écrire quelque chose de vraiment important.
Posture
Plus curieux est la posture de Jésus. Il est tout d’abord assis puis lorsqu’on lui amène cette femme il se baisse comme si cette affaire ne l’intéressait pas, comme s’il était indifférent ou manquait totalement de compassion, ce qui ne lui ressemble pas. Et lorsqu’il prononce ses fameuses paroles « que celui d’entre vous etc » il se baisse à nouveau comme si la portée de ses paroles ne le concernait pas le moins du monde. Il est peut être temps de nous souvenir des premiers mots de cet évangile : « Au commencement était la parole et la parole était avec Dieu, et la parole était Dieu. » Jésus ne touche pas ses auditeurs par son regard ou sa posture mais par ce qu’il dit.
Justice
Et que dit-il justement ? Les scribes et les pharisiens l’ont placé dans une position intenable, s’il approuve la loi de Moïse cette femme mourra et s’il la désapprouve il se met en porte à faux vis à vis de son peuple et c’est lui qui risque de mourir. Cette loi qu’il est censé accomplir devient lettre morte. Alors il va choisir une troisième voie.
« Que celui qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle. » La réaction de Jésus est curieuse et l’on n’en trouve aucune trace dans la loi. Il nous dit qu’il faut être sans faute pour juger et condamner. Mais dans la vie de tous les jours qu’est ce qui nous autorise à juger ? Des compétences sanctionnées par un diplôme, par exemple le médecin va juger de l’état d’un malade, une expérience acquise par des années de pratique, par exemple un mécanicien va rien qu’au bruit reconnaître une panne. Mais moralement qui peut le faire ? Une autorité morale justement, les parents, le pasteur, le juge. Peut-on dire pour autant que tous ces gens n’ont jamais commis d’erreur? Moi qui vous parle ma maîtrise de l’orthographe a été longtemps problématique, et pourtant on m’a laissé enseigner le français depuis des années, quelle inconscience.
En réalité pour tout jugement moral on devrait plutôt parler de responsabilité parce que c’est sur ce terrain là que Jésus nous interpelle. Je ne sais pas si elle se pratique encore ainsi aujourd’hui mais la peine de mort par injection létale a été pratiquée un temps de la façon suivante. Trois juges appuient simultanément sur un bouton chacun et un système informatique rend opérationnel un seul des boutons de façon aléatoire. Ce qui fait que personne ne sait qui a vraiment donné la mort. Et oui la responsabilité est trop lourde pour un seul. La lapidation, mis à part son côté barbare a été institué par Dieu pour une raison simple, chacun devrait prendre sa part dans la responsabilité du châtiment.
Jésus est sans péché. Lorsqu’il dit : je ne te condamne pas non plus. Il montre qu’il est le seul a pouvoir juger. Il ne pose aucune question à cette femme sur l’adultère qui semble établi. Finalement il ne juge pas et donc il ne condamne pas.
Si Jésus ne condamne pas se pose la question de l’utilité du jugement. Pourtant tout autour de nous nous pousse à juger. Si vous passez dans un magasin , vous en êtes à peine sorti que déjà vous recevez une notification pour vous demander votre avis sur celui-ci. Vous louez un appartement pour les vacances, allez au restaurant, faites du co-voiturage et à chaque fois on vous demande de mettre une note, de juger. Même nous dans notre métier, nous sommes jugés. Dernièrement j’ai laissé ma voiture pour une révision et la personne, un homme proche de la retraite semblait terrifié à l’idée que je lui mette une mauvaise note. J’ai trouvé cela inhumain. Les hommes sont toujours pressés de juger, alors qu’ils en sont incapables, Jésus non. Ce désir impérieux de lapider cette femme afin d’extirper le péché de la société alors que ce péché c’est le leur, c’est le nôtre. Le fait de nous placer en position de juge, ne nous enlève pas notre culpabilité.
Au quotidien nous souffrons d’un sentiment d’injustice, toutes ces petites vexations, ces incivilités, ces croches-pattes, au travail, dans nos familles, dans l’église… Et nous savons que pour tout cela il n’y aura ni jugement, ni condamnation. Dans notre pays pourtant réputé protéger le plus faible est-il vraiment défendu des puissants ? Les hommes sont-ils vraiment égaux en droits ? Et que dire d’autres pays non démocratiques ? Notre monde souffre en permanence d’injustice. Il est imparfait. Notre désir de toujours tout juger montre notre recherche d’une perfection qui n’existe pas chez les hommes. Et que fait celui qui a le pouvoir de juger cette femme ? Rien. Il est venu sauver celui ou celle qui mérite la mort mais à une condition, que j’accepte mon imperfection. Cette femme avait tout perdu et avec Jésus elle a peut être trouvé celui que finalement, elle cherchait.