On continue notre série sur la Genèse et nous en arrivons à ce récit absolument fantastique avec un suspense quasi insoutenable. Avant de commencer j’aurais aimé vous poser une question: Quel titre auriez-vous choisi pour ce récit ? Vous avez 5 secondes !
Pour vous aider, j’ai plusieurs titres à vous soumettre:
– Genèse 22 ou l’histoire d’un sacrifice raté
– Une foi mise à rude épreuve
– L’histoire d’un pauvre bélier qui passait par là
– Quand Abraham apprend le dépouillement
– L’origine du bouc émissaire
On ne va pas passer au vote mais si nous le faisions je crois que ce serait assez partagé. C’est dire que cette histoire est complexe et qu’elle pose question. D’ailleurs, il faudrait ajouter un « s » à question tant elles sont nombreuses. La première porte sur la notion de sacrifice. Rien que le mot nous fait un peu frémir. Dans le nuage de mots qu’Yvonne nous a présenté la semaine dernière pour commencer l’année, il y était. Bizarrement personne ne l’a cité à haute voix quand Yvonne nous a demandé de les lire. C’est vrai que c’est difficile de souhaiter une bonne année pleine de sacrifice ! « Je te souhaite une année sacrificielle. » Non ça ne le fait pas ! Mais ce récit nous pose également d’autres questions: celle de l’épreuve ou celle de Dieu lui-même !
Dieu en question
Comment Dieu a-t-il pu demander cela à Abraham ? Alors qu’il lui a fait toutes ses promesses et en particulier la promesse d’une descendance et que ce fils Isaac est justement le fruit de cette promesse ! Comment Dieu peut-il demander à Abraham d’offrir en holocauste ce fils qu’il a si longtemps attendu, lui et Sarah ? Abraham a une centaine d’années et Sarah est une gamine de 90 ans, ils ont attendu longtemps et à travers beaucoup de difficultés la réalisation de la promesse. Et Dieu demande le sacrifice d’Isaac ? Est-ce que c’est du sadisme ou peut-être de l’incohérence ? Dieu ne sait plus ce qu’il fait ? L’auteur de ce texte aurait-il oublié que Dieu était avant tout le Dieu des vivants, qui fait alliance de vie avec les vivants ! Oui Dieu est remis en question dans de récit ! On se dit encore qu’avec un Dieu comme cela qui demande de sacrifier notre enfant on se demande qui veut encore devenir chrétien ?
Effectivement, si on le sort de son histoire, cet événement est assez effrayant. Mais il faut aussi prendre conscience que ce passage s’inscrit dans le fil d’une histoire déjà longue entre Dieu et Abraham. Elle a commencé quelques dizaines d’années plus tôt quand Dieu l’appelle à sortir de son pays, de sa tente et de sa famille, de quitter son père pour aller dans le pays promis. Et cette histoire, n’est pas seulement une succession de faits et d’actions. Dans cette histoire, Dieu est à l’œuvre ! Et en particulier dans la vie d’Abraham. Dieu est en train d’éduquer l’ami Abraham dans la façon qu’il a de vivre sa relation avec Dieu mais aussi avec les autres, dans la façon qu’il a d’être Abraham. Dieu veut apprendre des choses à Abraham, non pas pour qu’il devienne un super héros même pas de la foi mais pour qu’il puisse être une bénédiction pour le monde entier selon la promesse. Dieu éduque Abraham pour que son projet de bénédiction du monde trouve une réalisation dans sa vie. En fait, cette scène vient ponctuer cette longue histoire par une dernière intervention de Dieu dans la vie d’Abraham. Elle constitue en quelque sorte, la fine pointe de l’éducation d’Abraham.
On oublie souvent que Dieu est un pédagogue dans l’amour. Et quand on parle de formation et de pédagogie il y a toujours des tests ou des épreuves. Selon la tradition juive (Midrash) : l’histoire d’Abraham est une série de 10 tests pour travailler la personne d’Abraham. On l’a vu avec l’histoire de sa femme Sarah qu’il fait passer pour sa sœur. Abraham n’est pas parfait, il a des grands moments de faiblesse mais Dieu est en train de le transformer, de le former.
Vu sous cet angle-là, il me semble que Dieu n’est pas remis en question ici, son amour n’est pas remis en cause. Au contraire ce Dieu de l’alliance et de la promesse aime ce sémite mal dégrossi et veut l’amener à devenir un homme de foi et de confiance. Tout comme nous ! Et d’ailleurs ce qui nous dérange dans ce texte ce n’est pas simplement que Dieu semble demander quelque chose de tout à fait insensé.
Non ! Ce qui nous dérange c’est de se demander si Dieu risque de nous demander la même chose ou le même genre de chose ! Ce qui nous fait peur dans ce récit c’est la transposition à notre vie actuelle. Dieu pourrait-il me demander le même genre de choses c’est à dire quelque chose qui ressemblerait de près ou de loin à un… sacrifice !? Bigre en voilà une question qui est dérangeante !
Et la réponse est… oui ! Je suis persuadé que Dieu peut nous demander le même genre de choses pour nous faire grandir en lui, nous faire sortir de notre zone de confort, nous mettre un peu en danger pour nous en remettre complètement en Lui et pour être en bénédiction pour les autres. Oui, Dieu peut faire le même genre de chose avec nous dans sa pédagogie de l’amour. Mais on va plus loin pour essayer de mieux comprendre de quel test il s’agit. Qu’est-ce qui est véritablement en jeu dans cette histoire ?
La question de l’épreuve
Le texte nous parle d’épreuve (v.1) Mais le mot hébreu n’a pas cette connotation pénible du mot épreuve. Il faudrait choisir le mot test plutôt, pas le test scolaire, mais le test de personnalité: le test qui sert à révéler ce qui ne se voit pas ou qui sert à vérifier ce dont on n’est pas sûr. Et le test fait partie de la pédagogie de Dieu.
Mais que teste-t-on dans l’histoire ? C’est la foi qui nous vient à l’esprit en premier lieu. Dieu teste la foi d’Abraham. Dieu met la foi d’Abraham à l’épreuve. Une foi qui devrait rendre la personne capable de faire quelque chose qui irait même au-delà de la morale. Une foi quasi aveugle qui va au-delà de la morale ou de l’éthique.
C’est ce qui a frappé Søren Kierkegaard qui dans son ouvrage « Crainte et tremblement » parle d’Abraham comme un chevalier de la foi, qui est prêt à faire le saut dans l’absurde, plus loin que les deux stades de Kierkegaard, le stade de l’éthique et de l’esthétique, un saut dans le religieux, un saut dans la foi de l’impossible. Søren prend l’exemple d’un homme amoureux d’une femme d’un amour impossible car il y a trop d’écart social entre les deux. Il sait que c’est impossible, mais croit que l’impossible peut devenir possible, par ce fameux saut dans l’absurde qui constitue la foi : « Je crois néanmoins que j’aurai celle que j’aime, en vertu de l’absurde, en vertu de ma foi que tout est possible à Dieu. »
J’étais amusé de voir cette comparaison, mais au 19ème siècle il y avait un fossé entre le monde ouvrier et la bourgeoisie sans parler de la noblesse ! Il fallait donc beaucoup de foi pour sauter le fossé. Mais c’est beau, c’est du Kierkegaard et on peut voir l’histoire du sacrifice d’Isaac sous cet angle, Dieu amènerait Abraham devant le précipice de la foi jusqu’en avoir le vertige
Mais on peut regarder l’épreuve d’Abraham d’un autre angle, un angle complémentaire qui vient donner un éclairage un peu différent sur ce test.
J’ai lu il y a quelques mois, dans un coin d’une librairie biblique, une autre approche qui me semblait tellement évidente. Cette approche nous dit que le test d’Abraham et de la foi d’Abraham est en rapport avec le don. Le don qu’Abraham a reçu en la personne d’Isaac. Un cadeau tardif mais un cadeau extraordinaire, une bénédiction fantastique. Et la question qui se pose et de savoir ce qu’Abraham va en faire ? Tout le test porte là-dessus et c’est très bien vu de la part de Dieu parce que le don ou le cadeau suscite une série de réactions de la part de celui qui le reçoit qui va révéler une vérité cachée en lui.
Autrement dit, dis-moi ce que tu fais avec ce cadeau et je te dirai qui tu es !
Et celui qui reçoit le cadeau peut le faire de deux manières avec des variantes.
– Soit il voit le cadeau comme un objet à prendre et à posséder
– Soit il voit le cadeau comme un signe qui invite à nouer et à cultiver une relation avec celui qui offre.
On le voit bien à Noël quand on fait des cadeaux ! Les réactions sont bien différentes. Aujourd’hui nous sommes tellement dans le cadeau détaché de celui qui offre, tellement dans le cadeau en tant qu’objet de consommation qu’il y a des sites pour vendre les cadeaux de Noël qui ne vous ont pas plu. On se fiche pas mal de celui qui vous l’a offert, hop on revend le cadeau honni sur internet. O tempora, o mores !
C’est vrai qu’avec le cadeau on peut effectivement privilégier la chose offerte ou au contraire privilégier la relation que le cadeau cherche à créer ou à entretenir.
Et nous sommes ici au cœur du test d’Abraham dans le cadre de la relation qu’il a par alliance avec Dieu. Si Isaac est un don de Dieu, comment va-t-il le recevoir ?
- Va-t-il se l’accaparer, le tenir jalousement comme un objet qui lui appartient en propre ? Va-t-il vouloir le garder pour lui et contrôler son avenir dans une dynamique que l’on pourrait appeler de convoitise ou de contrôle?
- Ou va-t-il entrer dans la dynamique d’une relation ? Va-t-il le considérer le cadeau qu’il a reçu comme un véritable don, c’est-à-dire comme un signe échangé entre Dieu et lui dans cette relation de confiance.
C’est là véritablement le test d’Abraham que l’on peut considérer comme le test de la foi. Que fais-tu de mon don ?
Alors oui, que va-faire Abraham ? Le récit laisse planer le suspense. On marche pendant trois jours pour faire 80 km. On imagine qu’à chaque pas Abraham réfléchit sur tous les événements de sa vie et sur ce que Dieu est en train de lui demander. Et puis il y a ce moment où il renvoie les serviteurs et part seul avec Isaac. « Nous reviendrons tous les deux.» Il semble croire à un heureux destin. Et puis, Isaac se demande où est l’agneau pour le sacrifice. Et on imagine le déchirement d’Abraham devant l’innocence d’Isaac. Il a le temps de réfléchir peut-être même de souffrir. Il a le temps de méditer sur l’alliance avec ce Dieu en qui on peut faire confiance, il a temps de prendre le temps de faire la part des choses, de lâcher prise. Et il va jusqu’au bout Abraham. Il va prendre l’impossible décision.
On remarque qu’au début les actions sont longues mais prennent peu de temps dans l’écriture (marche pendant trois jours). A la fin les actions sont courtes mais le rythme devient lent, il ligote Isaac, dresse un bûcher, prend son couteau. Tout est lent comme si le temps suspendait son vol, comme si Abraham, prêt à tout pour Dieu, attendait l’intervention de ce Dieu qui ne l’a jamais lâché jusqu’à présent. Il attend ce Dieu qui a toujours pourvu, qui a toujours tenu ses promesses.
Et Dieu ne le lâche pas. Un bélier qui passait par là fera office de sacrifice, Isaac ne sera pas sacrifié. Ouf, le suspense tombe en même temps que le couteau.
Mais ce qui est relevé par le messager de Dieu juste après, c’est qu’Abraham n’a pas épargné son fils. Dans la Bible du Semeur on a traduit par « refusé » mais dans l’original en hébreu on a vraiment « épargner » dans le sens économique ou même bancaire du terme : garder pour soi, retenir à soi en vue d’assurer son propre avenir. Non Abraham n’a pas épargné son propre fils, il n’a pas gardé pour lui le don de Dieu, il s’est montré prêt à l’offrir et à offrir le même cadeau qu’il a reçu, un cadeau aussi précieux que celui qu’il a reçu à la naissance d’Isaac.
Il montre par-là que sa relation avec Dieu est plus forte en lui que le désir de retenir Isaac et de le garder pour lui. Et c’est là toute la notion de sacrifice qui n’est pas un échange de bons procédés mais un signe fort de la priorité donné à la relation.
Et la suite est magnifique, non seulement la menace qui pesait sur l’avenir d’Isaac et sur la promesse s’efface, mais ce moment de test grandeur nature laisse place à une rencontre avec Dieu. Il est l’Eternel qui pourvoit. Dans son amour, dans la fidélité à son alliance L’Eternel pourvoit… il pourvoit à tout !
La question du sacrifice
Et cela nous amène au troisième point ou troisième question, celle du sacrifice et en même temps de l’application pour nous ou de la transposition pour nous, aujourd’hui maintenant, présentement. On ne peut pas parler de cette histoire sans penser à ce Dieu qui pourvoit au sacrifice de Christ… Avec les mots du verset (13) « à la place de ». De christ qui vient à notre place. Et du verbe épargné qui revient dans le Nouveau Testament, quand on dit que Dieu n’a pas épargné son propre fils. Nous avons là une préfiguration remarquable du sacrifice de Christ sur la croix. Nous pourrons méditer là-dessus pendant la Sainte Cène.
Mais il y a une autre question pour nous qui est celle de la place du sacrifice dans notre vie. J’ai dit tout à l’heure que oui, Dieu est capable de nous demander le même genre de choses. Dans le même sens que le test d’Abraham. Que faisons-nous du don de Dieu ? Quelle est la place du sacrifice dans notre vie ? Non pas comme une monnaie d’échange mais comme un signe d’une vraie relation avec Dieu ? Sommes-nous prêts à lâcher prise, à ne pas épargner ou garder pour soi ?
Mais de quoi parle-t-on quand on parle de sacrifice aujourd’hui ? Je pensais à une parole de Jésus que l’on retrouve dans les 4 évangiles et dans celui de Jean en particulier. C’est cette parole qui nous dit que « celui qui veut garder sa vie la perdra mais que celui qui est prêt à la donner va au contraire la conserver jusque dans la vie éternelle » (Jean 12).
On retrouve les mêmes termes que dans le sacrifice d’Isaac, et le verbe garder, garder pour soi, épargner pour se garantir un avenir. Celui qui s’accroche au cadeau de la vie qu’il a reçue de Dieu et qui va finir par la perdre car il prend ce cadeau pour un objet à garder pour lui, rien que pour lui sans rien donner en retour. Cette vie va lui filer entre les doigts comme le sable que l’on prend dans son poing. On a beau serrer, il s’échappe.
Par contre celui qui est prêt à la donner, à l’offrir en retour à Dieu, à lâcher prise et à l’offrir en sacrifice comme un signe d’une relation nouvelle avec Dieu. Celui qui privilégie la relation avec Dieu plutôt que le cadeau lui-même va conserver cette vie, la vraie vie et ce jusque dans la vie éternelle. La vie éternelle d’une relation avec Dieu qui change tout de la vie. Je ne sais pas si vous serez d’accord avec moi mais c’est une super application de cette histoire un peu « crazy » du sacrifice d’Isaac.
Je termine en étant plus concret. De quel sacrifice s’agit-il ? Dois-je être prêt à sacrifier ma famille, mon travail, ma réussite professionnelle ? Mes projets, mes ambitions ? Peut-être. Je ne sais pas. Mais je me dis que notre Dieu à nous occidentaux du 21ème siècle est peut-être un peu trop tranquille. Peut-être que notre foi est un peu timide et que Dieu nous demande de quitter un peu de notre confort et notre sécurité. Peut-être que Dieu nous demande des sacrifices qui iraient au-delà de ce qui est conventionnel, du religieusement correct, du socialement correct. Etre prêt à tout pour Dieu dans mon emploi du temps, dans mon témoignage, dans ma générosité, dans l’emploi de mes dons et de mes ressources.
Mais en tous cas, ce sacrifice sera différent de celui demandé à Abraham, du même genre mais différent parce que il y a entre les deux alliances, entre l’ancienne et la nouvelle alliance un événement qui change tout. La venue de Jésus, le sacrifice de Jésus, la résurrection de Jésus. Et parce que Jésus est venu pour sceller de son sang la nouvelle alliance, notre sacrifice sera différent à plusieurs niveaux.
– Consécutif à celui du Christ qui s’est donné en premier, qui nous a aimé le premier, le sacrifice sera sous le mode de la reconnaissance et non du mérite. Je donne ma vie parce que tu l’as donnée en premier et non pour gagner ma place au paradis ou gagner encore plus de cadeaux. Je te donne ma vie parce que je veux te dire merci.
– Personnel… Il ne s’agit pas de sacrifier son enfant ou d’exiger le sacrifice des autres. Ou de laisser aux autres le soin de se sacrifier (le clergé par exemple). Il s’agira du sacrifice de ma personne, un sacrifice personnel. C’est toi que je veux, dit Jésus. C’est à toi que je m’adresse en te demandant de me suivre. Paul le dira en Romains 12: « Parce que Christ est mort par amour pour nous, il nous appelle à offrir nos corps en sacrifice, » nos corps ou nos personnes. Il ajoute que ce sera de notre part un culte logique, qui correspond à ce que Dieu a fait pour nous.
– Vivant. Et puis dans le même passage et toujours au sujet du sacrifice, il sera vivant ! Et cela fait toute la différence. Finis les sacrifices sanglants. Christ a tout accomplit par sa mort. Ce que Dieu veut c’est notre vie, rien que notre vie, toute notre vie !
Que le Dieu de la vie nous permette par sa grâce et pour sa gloire de la lui rendre cette vie qu’il nous a donnée. Que nous puissions la lui donner comme un sacrifice vivant. Non pas pour gagner quelque chose de plus mais par reconnaissance et comme un signe fort de notre relation et d’amour avec Lui.
Etes-vous prêts à aller jusqu’au bout ? Etes-vous prêts à tout donner, sans rien épargner ?