Introduction
Nous continuons ce matin notre série sur la Genèse et à la lecture de ce chapitre 4, force est de constater que les choses ne vont pas en s’arrangeant. Au contraire, il semble même que cela va de moins en moins bien dans cette création où tout était au départ très bon ! Nous assistons dans ce chapitre, non seulement à la propagation du mal mais aussi à une inflation du mal, à l’explosion du mal et à l’apparition de quelque chose d’inédit: la violence. Il faut bien se rendre compte qu’on assiste à un meurtre ! Nous avons là un type qui tue son frère ! Un homme, fait à l’image de Dieu, tue un autre homme lui aussi fait à l’image de Dieu ! C’est une histoire qui fait froid dans le dos. Une sale histoire. Une sale histoire de famille qui se termine très mal, comme beaucoup d’histoires.
John Steinbeck en a fait un livre « A l’est d’Eden » à l’orient d’Eden, là ou se termine l’histoire de Caïn, loin du jardin de délices précise le récit. Elia Kazan en a fait un film avec le beau James Dean, une histoire de deux frères qui sont jaloux l’un de autre mais pour une femme. Elle est belle certes, mais est-ce qu’il fallait vraiment que toute leur histoire termine dans la violence et dans la mort ? Ce film même s’il date un peu nous rend le récit de Caïn et Abel plus proche en mettant le doigt sur la question de la JALOUSIE.
Qui n’a jamais été jaloux du succès d’un proche, qui n’a pas eu envie de se débarrasser d’une manière ou d’une autre de ce proche qui réussissait dans tout ce qu’il faisait alors que nous on allait d’échec en échec ? Aristote parlait de l’envie comme d’ « une douleur que provoque en nous l’excellence, la supériorité ou la réussite d’autrui ». Une douleur de voir l’autre réussir et qui provoque une envie énorme de se débarrasser de lui ou d’elle, peut-être pas en se jetant sur lui, mais en lui faisant mal ou en s’arrangeant pour le mettre à l’écart. Quand on parle de la prolifération du mal, ce n’est pas une vue de l’esprit n’est-ce pas ?
Le problème avec Caïn et Abel c’est qu’on a l’impression que c’est Dieu qui crée le problème. En préférant l’offrande d’Abel à celui de Caïn. Il est vrai que si on s’arrête aux premiers versets on aurait envie de se ranger du côté des avocats de Caïn, et il y en a, comme il y en a pour défendre Judas. Mais avant de réhabiliter Caïn, je vous propose de plonger un peu dans ce terrible récit et de voir ce qu’il dit mais aussi ce qu’il ne dit pas et ensuite (et seulement ensuite) de voir ce qu’il nous dit aujourd’hui.
La question de l’offrande
Le récit pose une question de l’ordre de la spiritualité : Comment faire une offrande qui sera acceptée par Dieu ? Manifestement celle d’Abel a plu à Dieu, celle de Caïn beaucoup moins. Pourquoi ? Certains ont parlé de l’arbitraire de Dieu, dans son sens positif, c’est-à-dire que Dieu est libre d’arbitrer comme il le veut l’offrande de ses enfants. Il faut le noter, c’est vrai Dieu est libre d’accepter ou de refuser une offrande. Cela fait partie de la liberté de Dieu et de sa grandeur ! Mais d’un autre côté, la Bible ne présente jamais Dieu comme une divinité capricieuse qui préfère la viande aux céréales pour son petit déjeuner. Il semble évident que le problème n’est pas dans la nature même de l’offrande mais plutôt dans l’attitude de celui qui fait l’offrande.
On a un indice dans le récit lui-même. Vous l’avez lu ou entendu, Abel offre les premiers-nés de son troupeau, et Caïn offre les fruits et légumes en vrac. Pas les premiers fruits, pas les premiers légumes… Il aurait pu le faire, on le fera par la suite mais il ne l’a pas fait. Vous me direz que c’est un détail, oui, mais c’est un détail que l’auteur du récit nous fait remarquer. Le parallélisme de la phrase n’y est pas ! L’un offre les premiers-nés de son troupeau, l’autre des fruits et des légumes. Et l’auteur veut nous le faire savoir ! De plus, n’importe quel membre du peuple hébreu aurait relevé la différence en écoutant ou en lisant ce texte. Un détail terriblement important. Et surtout, ce détail va nous révéler que le problème ne se situe pas au niveau de la nature de l’offrande mais au niveau de disposition du cœur de celui qui offre. Caïn ne fait pas l’offrande qui aurait pu faire ! Il ne fait pas à Dieu le plus beau cadeau possible. Il fait une offrande quelconque et il garde le meilleur de sa récolte pour lui. Et cela nous dit quelque chose sur le cœur de Caïn, sur ses dispositions intérieures : elles semblent ne pas être les meilleures qui soient.
Le Nouveau Testament nous parle de Caïn et l’apôtre Jean nous dit (1 Jean 3 :12) que « sa façon d’agir était mauvaise ». Et quand il le dit, il ne parle pas du meurtre (c’est évident que le meurtre d’un frère est mauvais,) il parle de ce qui se passe avant le meurtre, de cette offrande et de toute l’attitude de Caïn. La formulation« sa façon d’agir était mauvaise » montre qu’il y avait une régularité dans cette mauvaise façon d’agir. Il ne s’agit pas d’un problème survenu du jour au lendemain. Caïn n’est pas dans la bonne attitude devant Dieu. Il n’est pas dans de bonnes dispositions alors qu’il fait son offrande. On le voit aussi à sa réaction (Caïn se renfrogne, il est fâché que Dieu n’ait pas accepté son offrande v. 5). On voit qu’il est dans la comparaison, dans la compétition avec le frangin et surtout dans la transaction avec Dieu. Il n’est pas dans l’esprit de l’offrande.
Un autre auteur du Nouveau Testament nous parle de Caïn et Abel et c’est l’auteur de l’épitre aux Hébreux. Il place cette question de l’offrande en rapport avec la foi. Hébreux 11 :4 « Par la foi, Abel a offert à Dieu un sacrifice meilleur que celui de Caïn. Grâce à elle, il a été reconnu comme juste par Dieu. » Abel fait cette offrande par la foi et Dieu reconnait dans l’offrande d’Abel la foi d’Abel. On ne dit rien sur Caïn mais on peut tirer la conclusion que Caïn et son offrande manquaient de foi.
De quelle foi s’agit-il ? Ou de quel manque de foi ? Bien sûr il ne s’agit pas de l’incrédulité ou de l’athéisme puisque Caïn offre une offrande à Dieu. Mais il s’agit de la foi qui touche à la confiance et osons le dire, l’amour. Une foi qui se donne et qui donne ce qu’il y a de meilleur sans rien attendre en retour. Surtout qui ne cherche pas à faire de Dieu son obligé, en l’obligeant à rendre en bénédictions sonnantes et trébuchantes. Un commentateur le faisait remarquer, Dieu n’a pas besoin de telles offrandes, il n’est ni carnivore ni végétarien, ni végétalien. Ces offrandes ne l’intéressent que lorsqu’elles sont l’expression d’une foi, d’une adoration, d’un amour désintéressé. La foi de celui qui offre est centrale pour Dieu. L’auteur de l’épitre aux Hébreux le disait très bien aussi « Sans la foi, il est impossible de lui plaire » Abel avait cette foi-là, Caïn en manquait et son offrande le montrait bien.
Mais alors est-ce que tout était fini pour Caïn ? Il agit mal, il manque de foi, il fait une offrande pourrie ? C’est mort ? Non, le récit montre que Caïn aurait pu réagir autrement après son erreur d’offrande. Il faut noter aussi que le texte ne dit nulle part que l’offrande ratée était une erreur fatale. L’offrande de Caïn révèle quelque chose de son cœur mais il n’est pas encore question de péché ! Le récit par contre insiste sur la réaction physique et émotionnelle de Caïn (verset 5: « Cela mit Caïn dans une grande colère et son visage s’assombrit »).
Une question de réaction
Mais Dieu ne veut pas et ne va pas laisser les choses en l’état. Il intervient et prend l’initiative d’entamer le dialogue avec Caïn. Ce dialogue montre toute la sollicitude de Dieu à l’égard de Caïn. Il ne lui fait pas de reproches sur son offrande ratée, il l’appelle et l’invite à réfléchir en lui-même sur le pourquoi de sa colère. En trois phrases :
« Pourquoi es-tu fâché ? » (v. 6)
On voit là toute la bienveillance de Dieu à l’égard de Caïn. Dieu n’est pas seulement pédagogue mais aussi fin psychologue, il sait toute la charge émotionnelle suite à une déception et il sait aussi l’escalade d’actes violents qu’elle peut engendrer si on laisse la réaction émotive prendre le dessus. D’ailleurs nous qui connaissons la suite, nous aurons noté la disproportion entre l’affaire et la réaction à l’affaire : une offrande non acceptée d’un côté, une vie ôtée de l’autre. Un meurtre parce qu’on est vexé. Cette disproportion est typique quand il n’y a aucun recul et quand on laisse libre cours à ses émotions. Les exemples sont nombreux dans l’actualité de notre monde mais pas seulement dans l’actualité de notre vie relationnelle. Un mot d’un côté, une vengeance démesurée de l’autre. Pour faire simple, un petit mot de travers et on se fait la tête pendant 6 mois !
C’est ainsi que le plus doucement possible Dieu suggère à Caïn de faire un travail sur lui-même. Afin d’arriver Dieu voulant et il le veut certainement, à ce que Caïn puisse mettre le doigt sur ce qui ne va pas dans son offrande et surtout dans sa vie de foi. Et L’histoire aurait pu et aurait dû s’arrêter là et Caïn aurait évité l’escalade de la violence. Mais non, Caïn ne fait pas ce travail et pourtant Dieu insiste.
« Si tu agis bien tu relèveras la tête »
Cette parole de Dieu répond à la situation de Caïn qui baisse la tête au verset 5, littéralement « et son visage tomba (s’assombrit)», sa tête tombe jusque par terre, ce qui veut dire « être fâché » et au verset 6 « Pourquoi ton visage est-il tombé ? (sombre) » et au verset 7 Dieu parle d’élévation : « Si tu agis bien tu le rélèveras.» Dieu veut relever ce visage qui tombe ! Le verbe « relever » dans l’Ancien Testament veut parfois dire pardonner ce qui serait magnifique, mais ici ce serait plutôt faire bon accueil à quelqu’un, comme peut-être relever une personne qui se prosterne devant vous. Et c’est une magnifique invitation de la part de Dieu qui dit à Caïn que tout n’est pas perdu d’avance: si tu as fait une erreur, tu peux recommencer de zéro. Si tu agis bien, c’est-à-dire si tu changes d’attitude de cœur, ton offrande va me plaire au plus haut point. Je vais relever ton visage, je te ferai bon accueil.
Et cette promesse d’élévation pour Caïn est une grâce que Dieu lui fait, cette seconde chance et même une troisième et une quatrième de revenir à lui. La grâce est omniprésente dans le récit et Dieu insiste encore avec une dernière phrase sous forme de mise en garde mais avec une promesse :
« Le péché est tapis à ta porte mais toi domine sur lui »
Une mise en garde que le péché est là tout près. On a souvent pensé qu’il était couché comme un animal sauvage prêt à bondir un peu comme le lion rugissant de l’apôtre Pierre, mais les spécialistes de l’hébreu nous parlent plutôt d’une personne à la porte dans une attitude de séduction. On ouvre la porte, on franchit le seuil et le péché vous fait votre affaire ! Le résultat est le même ! Une mise en garde contre la séduction du péché et sa voracité. Mais il y aussi une promesse : « Mais toi domines sur lui ». Comme quoi pour Dieu et même très tôt dans la révélation, il n’y a pas de fatalité du péché.
Et pourtant les premiers chapitres de la Genèse nous dépeignent un monde où personne ne résiste vraiment. La Bible nous parle d’hommes et de femmes, même choisi par Dieu, qui sont extrêmement vulnérables par rapport au péché et au mal. Et dans la vie chrétienne on le sait bien, on le sent bien, nous sommes vulnérables et nous sommes inexorablement attirés par le mal. Luther disait bien : « Justifiés mais toujours pécheurs. » Paradoxalement cette prise de conscience de notre vulnérabilité pourrait nous faire entrer dans un certain fatalisme et même un certain défaitisme par rapport au mal, ce qui nous ferait dire « Et bien, c’est perdu d’avance ». Et ce défaitisme nous amènerait également à baisser la garde dans ce combat contre le mal. Mais Dieu dit « toi domine sur lui ». Domine sur cette jalousie, cette déception, cette colère !
Bien évidemment, ce texte n’enseigne pas que l’être humain puisse se dégager de ses inclinations au mal par ses propres forces et sans le Seigneur mais il dit que l’être humain fait à l’image de Dieu doit s’engager dans ce combat décisif, qu’il n’est pas une pure victime de la société ou de lui-même ou de son éducation ou de ses propres pulsions mais qu’il est aussi responsable de ses propres dérives et qu’il est appelé à entrer dans une résistance active. Et les croyants de la nouvelle alliance que nous sommes peuvent se saisir de cette promesse d’autant plus facilement qu’ils peuvent compter sur la présence du Saint Esprit dans leur vie intérieure. Le Saint Esprit qui nous guide dans la vérité… sur nous-mêmes et qui nous donne l’énergie (la puissance, la dynamique) pour marcher dans la vérité de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ. On est déjà entré dans l’application pour nous aujourd’hui de ce récit de Caïn et Abel. Mais revenons à nos deux idées forces de ce récit et à l’application pour nous.
Comment faire une offrande qui plaise à Dieu
Que disent nos offrandes ? Ces offrandes que nous faisons à Dieu et qui sont de diverses natures (temps, énergie, ressources humaines et financières). Le récit de Caïn nous amène à nous demander si ce que nous donnons au Seigneur représente le meilleur de ce que nous pouvons donner ou au contraire nous lui faisons une offrande quelconque pour garder ce qu’il y a de meilleur pour nous-mêmes. La question qui se pose est de savoir si avec moi Dieu a droit au meilleur ? Est-ce que Dieu a droit, comme disent les anglais, à mon « second best », mon meilleur deuxième ou à une offrande de première qualité ?
Quand on parle de qualité, on a bien vu avec Caïn qu’il n’est pas question de la valeur intrinsèque de l’offrande mais de la disposition du cœur qui l’accompagne, de la foi qui l’accompagne ; l’offrande comme expression de la foi. Et là aussi on peut s’interroger sur le fait que si nous ne donnons pas au Seigneur le meilleur de ce que nous avons cela pourrait signifier qu’il ne représente pas non plus la personne la plus importante à nos yeux. Si j’offre un cadeau quelconque ou même juste en dessous du meilleur à Dieu et que je garde le meilleur pour moi, le « very best » pour moi, cela pourrait vouloir dire que Dieu n’est que second dans ma vie, après moi.
Au-delà de la question de l’offrande, dont Dieu de toute façon n’a pas vraiment besoin, son exigence du meilleur, renvoie en fait à sa volonté d’occuper la première place dans notre cœur. A nous peut-être d’opérer ce fameux « décentrement » pour lui laisser la toute première place. Parce que comme ne le disait pas l’Oréal, il « la vaut certainement ».
L’histoire des premiers nés de l’offrande d’Abel qui a plu à Dieu me fait penser à ce même mot « premier » que Jésus utilise comme adverbe dans cet appel du sermon sur la montagne : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes les choses vous seront données par-dessus. » N’est-ce pas là, dans la recherche première du royaume de Dieu que nous pouvons faire une belle offrande à notre Dieu ?
Comment réagir quand on a fait une erreur
Deuxième grande leçon de ce récit, la réaction que l’on peut avoir lorsqu’on a fait une erreur ou fait un faux pas. La question à se poser dans la vie chrétienne n’est pas de savoir si l’on va pêcher ou faire des erreurs (on va en faire) mais de savoir comment on va réagir, tout dépend de cela. La question de la réaction se pose plus particulièrement dans des situations où on a l’impression de subir une injustice ou de n’avoir pas été traité correctement. La réaction de Caï11:39 n est de se laisser enfermer dans la spirale du ressentiment et de colère et l’autre serait de se poser la question « Pourquoi suis-je fâché ? » Ce travail intérieur éclairé par le Saint Esprit qui nous conduit dans la vérité sur nous-mêmes et qui nous amène à nous présenter devant Dieu, devant son amour infaillible et son pardon, j’ai nommé la grâce.
Et puis il y a la grâce…
Et oui dans ce tableau qui pourrait être bien sombre, il y a la grâce qui affleure de-ci de-là comme des îlots de salut dans une mer agitée. J’aime tellement ce verbe « relever » du verset 7 qui fait écho à ce visage qui tombe, emporté par le poids de sa faute, de sa culpabilité, de son manque de foi, de sa jalousie. Mais toi relève la tête. La promesse de la grâce est là, l’appel est là, l’invitation est donnée ; mais il faut s’en saisir ! On sait ce que Caïn a fait, mais nous que faisons-nous quand notre visage tombe pour telle ou telle raison, allons-nous nous saisir de la grâce ? Allons-nous emprunter ce chemin-là plutôt qu’un autre ? Dieu veut relever notre visage, il veut relever le faible. Faible nous le sommes tous face à la prolifération du mal dans le monde mais aussi dans nos vies
Je vous invite à le chanter: Tu veux relever le faible.