Introduction
Il y a quelques jours, nous avons parlé des deux premiers chapitres de la Genèse qui nous parlent de la création et de son auteur pour que nous puissions aller à sa rencontre. Ce qui ressortait clairement c’est que tout était bon et même très bon, tout vraiment tout était très bon et puis… patatras on vient de le lire, ce n’est plus bon ! Que s’est-il passé ? Ce texte a fait l’objet de bien des commentaires et de bien des interprétations. On parle de « péché originel » mais on ne sait pas très bien ce que cela veut dire. On pense peut-être au film du même nom avec Antonio Banderas et Angelina Jolie. Quand on regarde le regard d’Angelina au public averti on se dit que ça va mal se passer et cela nous fait penser que le péché originel aurait quelque chose à voir avec vous savez quoi On parle de pomme et de « croquer la pomme » et du serpent qui séduit, mais quelque chose s’est perdu dans la traduction… pour citer un autre film « Lost in translation ».
Nous allons essayer d’y voir plus clair et dans un premier temps essayer de définir de quoi il s’agit quand on parle de faute ou de péché. Dans un deuxième temps nous verrons les conséquences de cette faute et dans un troisième, nous essaierons de voir si dans le texte lui-même il n’y a pas quelques lueurs d’espoir. Enfin nous verrons quel rapport ce récit peut avoir avec nous et l’attitude qu’il faudrait avoir face à ce problème que l’on peut appeler le problème du mal.
De quelle faute s’agit-il ?
Tout tourne autour d’un arbre : l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Etait-ce un pommier ? Peut-être mais le désigner comme un pommier vient en fait d’un jeu de mot en latin : malus « mal » et malum « pomme » sont des homonymes en latin, mais pas en hébreu qui est la langue de l’Ancien Testament. Ce n’est donc pas un pommier, ce pourrait être un figuier, mais ce n’est pas important. Ce qui l’est c’est de savoir que selon la Bible, connaitre c’est décider, et donc la connaissance du bien et du mal, ce n’est pas seulement avoir conscience de ce qui est bien ou mal, mais c’est décider de ce qui est bien ou mal, et c’est décider seul et pour soi-même. Calvin l’a bien vu et répond à la question de l’interdiction de l’arbre pour l’homme et la femme : Dieu a défendu de manger de cet arbre « Non pas parce que Dieu voulut qu’il vaquât çà et là sans jugement ni discernement à la façon des bêtes, mais afin qu’il ne désirât point plus qu’il n’était convenable et ne se constituât soi-même juge et arbitre du bien et du mal, en secouant le joug de Dieu et en se fiant à son propre sens » R Origines p. 128 .
C’est bien dit et avec de beaux subjonctifs imparfait à la clef. Et donc dans le jardin, vouloir connaitre le bien et le mal revient à dire que l’homme veut « secouer le joug de Dieu » c’est-à-dire se passer de Dieu et décider par lui-même ce qui lui convient, « c’est moi qui décide », c’est être autonome, être sa propre loi. C’est en fait refuser son statut de créaturs et devenir dieu à la place de Dieu. C’est cela le péché originel ! Et le diable plus tard dit bien de quoi il s’agit: « Vous serez comme des dieux. »
Quand on comprend bien la nature du péché en question, on comprend mieux l’interdiction. Et cette interdiction n’est pas une tentation, elle est une mesure de grâce, de protection même, pour que l’homme puisse rester dans l’alliance d’amour avec Dieu, comme un père ou une mère avec ses enfants.
Bonhoeffer a écrit à ce sujet: « L’interdit n’implique aucune tentation. L’interdiction lui montre sa limite et la limite est grâce car elle fonde l’être créaturel. » Nous sommes des créatures qui dépendent de Dieu et c’est dans cette dépendance que nous nous retrouvons. C’est dans cette relation avec Dieu que nous sommes vraiment homme et femme dans leur plénitude. Et donc vouloir se débarrasser de Dieu est une folie. Et dans l’histoire de notre monde la folie a parfois saisi les hommes éclairés.
Au Siècle des lumières on a abondamment repris cette phrase de Protagoras « l’homme est le centre et la mesure de toutes choses » et c’est toujours en filigrane aujourd’hui même dans notre société et dans nos vies personnelles. Dans l’histoire de nos vies cette folie de prétendre vivre sans Dieu nous saisit parfois, chaque fois que je me dis que c’est moi qui vais décider pour moi de ce qui est bon pour moi , chaque fois que je navigue à vue sur mon frêle esquif et que je me proclame seul maître à bord et j’oublie le reste. Oui le problème du péché originel perdure !
Et le diable va jouer sur ce ressort-là ! Cette folie de l’homme d’être dieu à la place de Dieu mais aussi sur le désir et la convoitise : « La femme vit que l’arbre était bon à manger. » Et oui le mal présente toujours un certain intérêt. La convoitise joue aussi son rôle et sans entrer dans les détails, on voit toute la complexité du mal qui est un mécanisme assez mystérieux, qui joue à différents niveaux. Quelqu’un disait que le péché est un acte humain et aucun acte humain n’est absolument simple et le péché encore moins que tout autre. Ce premier péché est en fait tel que nous le connaissons aujourd’hui : il est ramifié, tentaculaire, il agit comme une pieuvre. Saint Augustin disait : « Rien n’est plus évident à désigner, rien n’est plus obscur à comprendre. » Mais les conséquences sont bien là. Alors que sont-elles ?
Les conséquences de la faute
Elles se voient dans le récit et cela très rapidement : ils ont peur, ils se cachent dans le jardin, s’accusent mutuellement, ils prennent leur distance… Il y a de la honte, de la peur, de la vulnérabilité, de la solitude, de la division, de la culpabilité. Et quand on y regarde de plus près, ces conséquences sont liées au centre de la faute c’est-à-dire au désir d’être des dieux comme dieu. Ils ont voulu être comme des dieux, maintenant il faut qu’ils assument ! Et ils ont du mal à assumer puisqu’ils vont découvrir la disproportion entre leurs objectifs et leurs capacités. Ils vont se rendre compte combien ils sont vulnérables et vont donc user de dissimulation. Etre des petits dieux n’est pas si chouette que cela. Luther : « Nous étions de petits dieux tristes et Dieu a fait de nous des hommes. »
On ne peut pas détailler toutes les conséquences de ce péché mais on peut parler de 2 niveaux :
Celui de la relation avec Dieu
Quelque chose s’est rompu c’est indéniable. Ce n’est plus comme avant avec Dieu. Il y a une rupture dans la relation et plus précisément dans la relation d’alliance. Une alliance basée sur l’amour et porteuse de vie. Mais les premiers hommes ne l’ont pas voulue. Il y a eu rupture, cassure.
Et l’homme et la femme se cachent dans le jardin et cherchent à se dissimuler et Dieu les cherche parce qu’il aime cette relation d’alliance. Et l’homme répond : « J’ai eu peur et je me suis caché. » Ce qui montre une culpabilité par rapport au créateur, mais aussi un mal être que l’homme qui veut être dieu ressent au plus profond de lui. L’impression qu’en voulant être dieu il se coupe de lui-même c’est-à-dire de ce qu’il est vraiment, une créature aimée de Dieu qui est faite pour vivre cette relation avec Lui, une relation de vie. Mais il n’en a pas voulu et l’homme s’en va… je dirais la « mort dans l’âme. » J’ai trouvé que cette expression désignait bien ce qui se passe dans le jardin, la mort dans l’âme, la mort spirituelle, la séparation éternelle d’avec celui qui peut combler notre âme.
Au niveau de la relation avec ce qui nous entoure
Quand on est un petit dieu, l’autre, même le vis-à-vis devient menaçant, parce que chacun découvre en l’autre un dieu rival. La scène du monde va être le théâtre d’une guerre impitoyable pour le trône… de fer, comme dans la série bien connue « La guerre des trônes ». Et tout dans nos relations va être perturbé. La sexualité, création de Dieu, va être envahie par le mal, la domination, la honte, l’égoïsme. L’enfantement, la bénédiction de la procréation demeure mais s’y mêle l’amertume « le cadeau devient fardeau ». Le travail persiste mais tout sera fait à la sueur ton front » dans des relations professionnelles compliquées, avec de l’exploitation, du harcèlement. La nature est toujours là mais l’homme qui se prend pour Dieu va utiliser sa puissance pour l’exploiter au lieu d’en être un gérant responsable. Tout demeure mais tout est changé. Le grand dérègelement du péché affecte tout le bien que Dieu avait produit.
Le tableau est bien sombre et on peut se demander s’il reste de l’espoir dans tout cela… Oui, sinon nous ne serions pas ici pour en parler et ce qu’il y a de magnifique c’est que même dans ce chapitre 3 on peut déceler quelques lueurs d’espoir, quelques amorces d’une grâce qui serait déjà en route.
Les signes de la grâce ou lueurs d’espoir
La première est un peu déroutante et surprenante. Elle est au verset 22 et se présente plutôt comme une punition : c’est l’interdiction de manger de l’arbre de vie ! Mais à y regarder de plus près, il s’agirait plutôt d’une mesure de protection contre eux-mêmes. Dieu semble constater qu’ils sont en quelques sorte devenus comme des dieux mais en quelque sorte seulement, ils ne sont pas vraiment des dieux. Plutôt des petits dieux tristes qui n’ont pas les moyens de leurs prétentions. Et la parole de Dieu qui leur interdit l’arbre de vie, est en fait très douce car Dieu leur dit : je continue à être votre Dieu. Et si je vous empêche de manger de l’arbre de vie c’est parce que vous ne pouvez pas vivre éternellement dans cet état de révolté, de petits dieux prétentieux. La vie éternelle serait incompatible avec votre situation. Il faudra passer par la mort… pour un jour renaître et vivre une recréation, une résurrection peut-être. Oui cette interdiction est une mesure de grâce qui annonce la grâce.
Dieu les revêt de vêtements (3 :21)
Mesure de grâce également, de douceur, de gentillesse. Comment Dieu pourrait-il mieux démontrer qu’il veut rester le Dieu des pécheurs pour leur bien et non pour leur mal ? La démarche de Dieu illustre parfaitement comment Dieu agit face au péché. IL ne revient pas simplement en arrière, il n’annule pas simplement ce qui s’est passé, il n’y a pas de retour à la nudité paradisiaque, mais il couvre le péché.
Cela nous renvoie au Nouveau Testament et à cette image du vêtement nouveau que Dieu pose sur nous en Jésus-Christ. Paul parle de revêtir Christ, le nouvel Adam, celui qui a resisté à la tentation et qui n’a pas péché et qui nous couvre du manteau de sa justice. Ce qui est beau dans l’histoire du salut c’est que Dieu, malgré le péché originel, est capable de faire du neuf, de nous revêtir d’un habit nouveau, qui en plus nous va si bien, et dans lequel nous retrouvons l’image de Dieu en nous qui avait été déformée par le péché. Quand la Bible dit que tout est en Christ, ce n’est pas une vue de l’esprit. C’est le plan du salut, de la grâce de Dieu.
La promesse faite à la femme
Puis il va y avoir cette promesse faite à la femme qu’Adam va appeler pour la première fois Eve, qui vient de la racine vivre comme l’indique le commentaire du narrateur « parce qu’elle est la mère de tout vivant ». Pour bien le rendre en français on pourrait l’appeler Viviane. Cela paraît étrange, mais cela nous rendrait le récit plus vivant. Adam appelle sa femme : vie. C’est un peu audacieux alors que par sa faute le péché et la mort viennent d’entrer dans le monde. Cela pourrait friser l’inconscience. Mais ce n’est pas de l’inconscience mais justement une très juste conscience de la portée des paroles de Dieu.
Malgré la mort, malgré les souffrances, Dieu promet la vie, une persévérance de la vie. Une promesse supplémentaire va être faite à Eve, et quelle promesse ! La promesse d’une descendance qui va faire la guerre au Diable et qui aura la victoire décisive, capitale sur lui. De caput la tête en latin. Qui va l’écraser ! La promesse commence par ces mots : je mettrai et c’est Dieu qui parle. Il ne s’agit pas simplement d’un constat mais Dieu déclare qu’il s’engage lui-même dans la bataille et qu’il a son plan pour la victoire. Et dans sa grâce Dieu se met du côté des hommes et des femmes contre le serpent. Oui Dieu s’engage dans la descendance de la femme par un nouveau représentant de l’humanité, un nouvel Adam qui gagnera la bataille décisive cotre le mal. Mais cela ne se fera pas sans mal, sans prix à payer, sans souffrance en retour, le mal va mordre par la mort. Et comment ne pas penser à la mort de Jésus qui est une victoire sur le mal « Par sa mort il a réduit à l’impuissance celui qui avait le pouvoir de la mort, c’est-à-idre le diable » Hx 2 :14. Il y a tout l’Evangile dans cette promesse de Dieu à Eve, une promesse de vie, la bonne nouvelle de la vie. Ce n’est pas pour rien que ce verset a été appelé le proto Evangile, le premier évangile.
Quel rapport avec nous ?
Quel est le lien entre ce qui s’est passé dans le jardin d’Eden et ma situation aujourd’hui ? Derrière cette question se cache une autre question, pourquoi dois-je subir les conséquences du péché alors que je n’y étais pas ?
Pour plusieurs raisons, d’abord parce qu’Adam et Eve sont nos représentants, les chefs de l’humanité de l’époque et à cause de cela il y a un lien de solidarité qui s’établit de génération en génération. Ils sont homme et femme et ils ont péché, nous sommes hommes et femmes et nous péchons. Et il y a aussi le fait que nous reproduisons ce péché dans nos vies, peut-être pas de la même manière mais de manière similaire. Nous cherchons d’une manière ou d’une autre à nous affranchir de Dieu, à nous faire notre propre loi, à nous cacher de lui. Solidarité et imitation, voilà pourquoi le péché originel nous concerne. Comme le dit Henri Blocher : « C’est à cause du péché d’Adam que nous sommes punis pour les nôtres. » Blocher parle de punition, mais on sait bien que c’est Christ qui prend sur lui la punition du péché d’Adam. Mais une question demeure : quelle attitude avoir par rapport au péché. Je vous propose 3 pistes à discuter et à réfléchir.
Savoir le reconnaitre
Nous vivons dans une société qui a fait d’énormes progrès dans la stratégie d’évitement du mal et du péché. On cache, on dissimule, on excuse, on justifie, on accuse les autres. Le Seigneur nous demande comme Nathan l’a fait pour David de confesser notre faute. C’est-à-dire, dire la même chose que Dieu sur mon péché. Dire comme David dans le Psaume 32 : « Je n’ai point caché ma faute » (je n’ai pas cherché à le faire) et dire aussi comme David dans le Psaume 51: « Je reconnais devant l’Eternel les péchés que j’ai commis. » Il s’agit de prendre conscience que mon péché relève d’une révolte contre Dieu, d’une volonté d’en faire à ma guise, d’être mon propre petit dieu triste, prendre conscience que tout cela constitue une impasse et se décider à prendre une nouvelle direction.
Ensuite le porter devant le Dieu de la grâce
Avec cette foi que la croix du Christ couvre tous nos péchés et que cette grâce se renouvelle au fur et à mesure que je lui fais confiance. « Si nous reconnaissons nos péchés, Dieu est fidèle et juste, il nous pardonnera nos péchés et nous purifiera de tout le mal que nous avons commis » I Jean 1 :9. Le laisser nous revêtir de ces nouveaux vêtements qui portent la marque de Christ. Goûter au pardon de Dieu. J’entends souvent qu’il est difficile de pardonner les autres, mais il me semble également très difficile de vivre le pardon de Dieu pour soi ! Nous avons besoin de le reconnaitre pour l’amener à Dieu.
Garder espoir
Comme dans le chapitre 3 du livre de la Genèse, il y a toujours, même au milieu du sordide, des lueurs d’espoir, des signes de la grâce. Malgré l’infiltration du mal, et l’actualité nous le rappelle pratiquement chaque jour, il s’agit de ne pas désespérer, ni de soi, ni de l’autre, ni du monde. Parce que là où le péché a abondé, la grâce a surabondé (Romains 5:20). Et dans ce monde où tout semble être complètement fichu, nous restons porteurs, tous autant que nous sommes, de cette bonne nouvelle de la surabondance de la grâce.
Avec l’aide du Saint-Esprit et pour la gloire de Celui qui nous a sauvé par sa grâce.