La belle histoire de la reine des parfumeuses
Marc 14 :1-11
Encore une belle histoire
Voilà encore une belle histoire de la Bible. Après celle de la brebis perdue et recherchée voici celle de la reine des parfumeuses. Pour replacer cette belle histoire dans ce contexte, il faut savoir que nous sommes avec Jésus à Jérusalem pendant la semaine de Pâques. C’est une semaine un peu chaotique, troublée et troublante, mais dans la maison de Simon le lépreux nous avons là un un moment très doux, très beau alors que la semaine ne l’est pas du tout. Tout est sombre durant cette période pascale, violent même, lourd. Même le dernier repas qu’ils prendront vendredi soir, n’est pas des plus joyeux, on y parle de trahison possible, tout le monde se demande qui sera le traitre. L’ambiance est pesante. Toute la semaine est de ce genre, et le chapitre 14 commence par parler du complot des autorités juives et se termine par le début des démarches de Judas pour trahir Jésus.
Et au milieu de tout cela coule une rivière… une rivière de grâce. Une histoire qui vient comme un moment de grâce dans une semaine tourmentée, comme un îlot de douceur au milieu d’un monde de brutes, comme un oasis dans un désert aride, comme un refuge dans une randonnée qui n’en finit pas.
Oui, un moment de grâce, le geste d’une femme qui verse du parfum sur la tête de Jésus. Le temps s’arrête. Il plane sur cette histoire comme un parfum d’éternité.
Le geste d’une femme
Ce geste est d’abord celui d’une femme tout à fait anonyme. Dans l’Evangile de Jean, on parle de Marie, sœur de Lazarre et de Marthe peut-être parce que tout cela se passe à Béthanie, qui est tout proche de Jérusalem, sur le flanc du mont des Oliviers. Mais Marc ne donne aucun nom, aucune identité à cette femme mais c’est une femme et ce n’est pas anodin. Les femmes ont une place particulière dans la vie de Jésus, sa mère évidemment, une relation particulière, mais aussi Marie et Marthe, Marie Madeleine, et puis les femmes qu’il a rencontrées ou qui sont venues à lui. Jésus a voulu les mettre en valeur d’une manière toute particulière et les évangiles s’en font l’écho fidèle. Ce faisant, Jésus va à l’encontre de la pensée ambiante. Que ce soit pour les juifs comme pour les romains, la femme n’a pas la même valeur que l’homme. En justice par exemple, leur témoignage n’a pas de poids. Mais pour Jésus, les témoignages des femmes, les gestes des femmes ont une grande importance. Elles semblent d’ailleurs mieux comprendre ce que Jésus veut transmettre à l’humanité.
Les autorités qui veulent mettre à mort Jésus, ce sont des hommes. Les disciples qui rouspètent, ce sont des hommes, Judas qui va trahir c’est un homme. Et au milieu de ce chahut tout masculin, vient une femme qui fait un geste d’une grande sensibilité. Ce sont encore des femmes qui seront les premiers témoins de la résurrection, alors que leur témoignage n’a pas de valeur ! Mais si elles sont là c’est bien parce qu’elles veulent embaumer le corps de Jésus. Quelques jours plus tôt, (maintenant dans Marc 14) , une femme verse du parfum sur sa tête en signe d’ensevelissement. La boucle est bouclée, le tout par des femmes. Il y a chez les femmes un je ne sais quoi qui fait qu’elles sont plus sensibles à certaines choses, aux choses de Dieu par exemple, aux relations, à la préservation de la vie.
Alors on ne va pas faire de généralités, ni trop de distinctions de genre. Il y a des traits que l’on dit féminins qui se retrouvent chez les hommes. Ils ne sont pas dépourvus de sensibilité ! De même il y a des traits que l’on dit masculins chez les femmes. Elles ne sont pas dépourvus de tout ce que certains hommes pensent qu’elles sont dépourvues. Je ne vais pas aller plus loin de peur de m’enfoncer mais vous m’avez compris et vous avez compris que Jésus donnait beaucoup d’importance à la femme. Et ce geste est le geste d’une femme. Peut-être que les hommes ont à apprendre de ce geste d’une femme et que les femmes aussi ont à apprendre quelque chose.
Un geste gratuit
Non seulement cette femme est anonyme mais en plus son geste vient de nulle part. Il est tout à fait gratuit. Dans l’évangile de Luc au chapitre 7, une autre femme répand du parfum sur les pieds de Jésus, il s’agit d’une femme de débauche, une prostituée, et on peut penser que son geste est un geste à la fois de repentance et d’espérance. Dans l’évangile de Jean 12, pour le geste de Marie (le parfum sur les pieds de Jésus) on peut penser à un geste de reconnaissance puisque son frère Lazarre a été ressuscité par Jésus. Mais ici, rien, pas d’explication, pas de justification. C’est une femme anonyme qui fait un geste tout à fait gratuit. Et peut-être qu’il nous faut simplement nous taire, ne va pas chercher d’explication, ni de justification, juste contempler ce geste, ce geste de grâce. Alors que nous sommes dans une société basée sur la performance, sur l’efficacité, sur l’utilité. Une société ou la valeur de quelqu’un est jugée par sa capacité à produire ou à apporter quelques chose à la dite société, il est bon de recevoir le geste de cette femme et de le prendre en plein coeur pour que celui-ci puisse s’ouvrir et nous sortir de ce cycle infernal de la productivité. Moi en tous cas cette belle histoire me fait le plus grand bien !
Un geste qui coûte
C’est un geste gratuit mais paradoxalement c’est un geste qui coûte. On nous donne même le prix : 300 pièces d’argent, une année de salaire d’un ouvrier agricole. Le SMIC en quelque sorte, une année de SMIC ! Même si c’est le salaire minimum, un an de SMIC, c’est énorme. Et certains dans le groupe ont une remarque d’ordre financier à introduire dans ce moment de pure grâce : On aurait pu le donner aux pauvres ! Depuis quand les disciples sont-ils philanthropes ? Depuis quand se soucient-ils des pauvres ? Cette remarque sent l’hypocrisie à plein nez. Peut-être sont-ils gênés devant le geste un peu excessif de cette femme, peut-être un peu jaloux de ne pas être au premier plan de la scène. Et Ils se cachent derrière la cause très pieuse des pauvres pour faire mal à cette femme, lui faire mal pour se faire du bien, un réflexe aussi banal que brutal. Dans l’Evangile de Luc, c’est Judas qui prend la parole pour critiquer la femme qui fait une telle dépense. Lui, il va trahir pour 30 pièces d’argent, c’est 10 fois moins. Il faut se rendre compte que Judas trahit Jésus pour 10 fois moins que ce que cette femme à donné pour célébrer Jésus. Et il ose la critiquer, sur ce coup là Judas est impardonnable !
Alors on ne veut pas trop charger Judas mais il n’a rien compris à la grâce, les autres disciples non plus. Il est dans le calcul et l’intérêt personnel, Jésus est dans la grâce, dans le don de lui-même et la femme qui lui fait ce cadeau inutile à vues humaines a compris elle aussi le sens de la grâce, on ne sait pas comment mais elle a compris que la grâce de Dieu, l’amour de Dieu qu’il manifeste dans la personne de Jésus Christ, est un don gratuit, complètement gratuit, infiniment gratuit mais qu’il coûte énormément cher, qu’il coûte la mort de celui qui porte en lui tout l’amour de Dieu pour les femmes et les hommes de ce monde. C’est une déchirure et pas seulement dans son humanité mais dans sa nature divine. Il y a une souffrance de Dieu et Jésus la vit dans son être entier. Comme le disait D. Bonhoeffer « la grâce à bon marché n’existe pas! »
L’évangile c’est l’histoire de la grâce de Dieu qui coûte cher. La femme l’a pressenti, la femme l’a compris, elle donne tout sans calcul parce qu’elle a compris. Et Jésus comprend qu’elle a compris, et il va donner un sens à son geste : « C’est pour mon ensevelissement qu’elle a fait ce geste et elle a bien fait. » Un geste prémonitoire, prophétique, un geste gratuit mais qui coûte comme la grâce…
La grâce et moi…
Ce geste nous fait penser aussi et méditer sur notre propre compréhension de la grâce. De quel côté nous trouvons nous ? Du côté des disciples qui peinent à comprendre la gratuité de la grâce, qui calculent pour leur caisse personnelle et qui sont incapables de donner gratuitement, on se souvient qu’à un moment ils demandent à Jésus des retours sur investissement : « Seigneur nous avons tout quitté pour te suivre, que va-t-on avoir au bout du compte ? » Sachons passer du côté des disciples vers celui de la femme anonyme qui se saisit de la grâce comme elle se saisit du parfum et le répand sur la tête de Jésus ! Un parfum d’éternité.
Il existe un ordre monastique, les petits frères des pauvres, qui prend en charge une des souffrances cachées de notre monde, la solitude des personnes âgées. Ils font beaucoup de choses pour les personnes âgées, du soutien, de l’amitié, à Noël ils organisent de grands réveillons et ils proposent aux personnes âgées des vacances dans un vrai château.
Un jour ils ont eu une idée un peu folle. Il y avait là un vieux couple d’ouvriers lyonnais qui fêtaient leurs noces de diamant (60 ans de mariage). Le record en France est détenu par Georges et Georgette Hébert avec 81 ans de mariage! Comme le mari n’avait jamais pu offrir un bijou à son épouse, la communauté a décidé d’offrir un diamant à cette vielle dame. Un vrai diamant. Depuis ce jour, on l’appelle la princesse d’Achy, du nom du premier château de vacances aménagé par les Petits Frères. Bien sûr on les a critiqués et certains ont calculé combien de repas on aurait pu offrir aux pauvres avec l’argent du diamant. Mais les petits frères des pauvres sont restés imperturbables.
Quelques mois plus tard, la princesse mourut. Les petits frères des pauvres ont enterré la princesse d’Achy avec son diamant puisqu’il était à elle. Cela parut encore plus scandaleux mais les frères ont répondu qu’un simple regard de joie entre deux vieillards pouvait avoir plus de valeur que le prix d’un diamant. Puisqu’elle était princesse, il était normal qu’elle soit ensevelie avec ce signe des 60 années qu’elle avait partagées avec son mari.
Quelque temps plus tard, on fit don aux petits frères des pauvres d’une abbaye splendide, l’abbaye de la Prée. Un don anonyme accompagné par un seul message qui tient en une phrase : « C’est à cause du diamant. »
Une histoire magnifique, une histoire de grâce!
Un geste d’adoration pour Jésus (prophétique)
Un dernier point sur ce geste, il est manifestement un geste d’adoration. Encore une fois, il est gratuit et on ne donne pas d’explication, Jésus lui donne celle du geste prophétique qui annonce sa mort quelques jours plus tard mais aussi un geste d’adoration pour sa personne : « Vous aurez toujours des pauvres, mais moi vous ne m’aurez pas toujours. » Non pas que Jésus ne se préoccupe pas des pauvres, il suffit de lire les évangiles pour voir que les pauvres dans toutes leurs pauvretés ont une place à part dans le cœur de Jésus, mais Jésus parle de lui et de l’adoration de cette femme pour lui, pour sa personne.
Une adoration en esprit et en vérité
Là aussi, elle a pressenti qu’il était digne d’adoration, qu’il valait ce parfum d’un grand prix. Oindre la tête de quelqu’un, c’est le reconnaitre comme roi. On ne sait pas si cette femme avait cela en tête, mais il y a une intuition fantastique, un élan incroyable vers la personne de Jésus. Les moqueurs parleront d’un élan mystique mais on pourrait simplement penser que cette femme est réellement une adoratrice en esprit et en vérité. Vous savez ces adorateurs que Dieu recherche comme le dit Jésus à la Samaritaine (tiens une autre femme !). Une adoration en Esprit c’est-à-dire dans l’esprit de la grâce, en non pas des rites ou des mérites. En vérité en ce qu’il est vraiment Roi des rois, le sauveur du monde, le fils de Dieu, le Dieu véritable, la parole de vie.
Imagine !
Et devant l’élan de cette femme, ce geste un peu fou et un peu inutile de cette femme, on peut avec raison se demander si nous ne serions pas parfois un peu trop réservés dans notre adoration, un peu trop sages dans notre engagement d’adorateurs au quotidien. On est souvent sur la réserve, sur la retenue n’est-ce pas ? On s’engage oui mais un peu sur la pointe des pieds, on donne et on se donne mais avec parcimonie, nous chantons oui, mais du bout des lèvres ou derrière un masque !
Imagine, comme dirait John Lennon, imaginons qu’au lieu d’avoir de la religion nous ayons de l’adoration ! Imaginons que dans un acte fou d’adoration nous donnions tout ce que nous avons de plus précieux, tout ce pour quoi nous avons économisé toute notre vie, ce que nous avons construit péniblement. Oui, imaginons que nous donnions notre vie tout simplement. Est que ce ne serait pas cela une adoration en esprit en en vérité ? Comme un parfum qui sent bon jusque dans l’éternité ?
En tous cas cette journée passée à Béthanie dans la maison de Simon le Lépreux, ce parfum répandu sur la tête de Jésus par une femme anonyme dont tout le monde se souviendra, nous laisse avec deux questions:
Où en suis-je avec la gratuité dans ma vie ou disons-le avec la grâce ?
Où en suis-je dans mon adoration ?
Que Dieu dans sa grâce et par son Esprit qui agit puissamment en nous, nous donne de suivre Jésus sans calcul, sans réserve, pour vivre cette vie abondante qu’il a promise à toutes celles et ceux qui lui font confiance.
Chant: Reçois ma vie comme une adoration, reçois mon cœur comme un cadeau d’amour. je te donne sans compromis ce parfum de très grand prix. JEM 705