Luc 15: 1-7
Cette histoire est souvent appelée l’histoire de la brebis qui s’était perdue et qui a été retrouvée. Mais on pourrait l’appeler l’histoire de la Brebis perdue et recherchée ! Il me semble qu’avant d’être retrouvée, cette brebis a été recherchée et c’est là que l’histoire prend toute son intensité, dans la recherche de cette brebis perdue.
C’est de toutes façons une belle histoire ! Dans l’évangile de Luc, elle appartient à une série de trois histoires qui parlent toutes de choses ou de personnes que l’on a perdues et que qu’on finit par retrouver. La brebis, la fameuse brebis un peu stupide et certainement pas très propre sur elle non plus, puis la pièce de monnaie retrouvée par la ménagère et enfin la grande belle et dramatique histoire du fils prodigue, perdu et retrouvé lui aussi.
Des histoires d’enfant perdu dans les magasins:
Nous pourrions avoir repenser aussi à nos histoires d’enfant perdu et retrouvé. Je me souviens il y a « quelques » années dans un grand magasin bruxellois, mon épouse et moi avons entendu au haut parleur. « Julien attend sa maman Yvonne à l’accueil du magasin ». Julien qui devait avoir 6 ans avait donné le prénom de sa maman. C’était trop mignon. Le petit enfant perdu et retrouvé. Il y avait un peu de colère mais surtout du soulagement et de la joie de l’avoir retrouvé..
Ou de vieille dame perdue dans un ravin:
Je me rappelle cette histoire qui avait fait la Une de la dépêche des Pyrénées: une dame de 78 ans était allé une petite promenade tranquille mais elle perd l’équilibre et glisse dans un ravin. Elle y est restée 7 jours et 6 nuits ! Tout le village est parti à sa recherche. Le 4e jour les recherches officielles se sont arrêtées mais les villageois ont continué les recherches. C’est un monsieur de 68 ans qui a fini par la retrouver après une semaine. Elle était un peu déshydratée, elle souffrait de quelques ecchymoses mais elle était bien vivante ! Après quelques jours, elle a dit une chose magnifique en guise de conclusion à son histoire « Même si je ne suis pas native de ce village, j’ai senti que tout le monde m’aimait » Belle histoire d’une vieille dame perdue et retrouvée par tout un village. Une histoire comme on les aime !
Mais là, dans l’Evangile, c’est Jésus qui raconte et quand il parle, il parle avec autorité. Il n’est pas là pour nous raconter des histoires gentillettes mais pour nous dire quelque chose de vrai, sur nous, sur Dieu, et sur son amour envers nous. L’histoire d’amour d’un berger pour sa brebis. Une histoire d’amour qui pourrait se décliner en trois phrases.
1) C’est l’histoire d’un berger qui aime sa brebis individuellement
Jésus insiste bien, il laisse les 99 autres pour aller chercher celle qui est perdue. On peut penser que les 99 autres sont en sécurité (dans l’enclos ou avec d’autres bergers) il n’y a pas abandon de poste ! Mais quand même, ce berger n’est pas tranquille tant qu’une brebis n’est pas rentrée au bercail. Il pourrait se dire qu’une perte de un pour cent est un bon ratio, que la brebis perdue pourrait être mise en pertes et profits et qu’il serait toujours un assez bon berger.
Mais non, notre berger ne se contente pas d’être un assez bon berger. Il est comme cela le berger, il ne peut pas être heureux tant qu’une brebis n’est pas rentrée. Il ne se satisfait pas de l’absence d’une seule de ces brebis. Et cela nous dit énormément sur la valeur de « la » brebis, la valeur individuelle et personnelle de chaque brebis. L’Eternel est mon berger dit le psalmiste dans le Psaume 23, « mon » berger, le mien ! Il y a de la part du berger un amour particulier pour chaque personne en particulier. Cela ne veut pas dire qu’il aime moins les 99 autres, si cela avait été une autre que la « centième » il y serait allé aussi ! Mais il aime chaque brebis de manière individuelle. Cela change rien puisque c’est pour tout le monde pareil, me direz vous ! C’est vrai ça ne change rien mais c’est cela qui change tout !
Philip Keller est un ancien berger qui a écrit un livre sur le Psaume 23. Pour la première phrase du Psaume voici ce qui’l dit: sur l’Eternel est mon berger « Cette seule pensée a stimulé mon esprit et aiguisé ma conscience et m’a donné le sens de la très grande dignité de ma personne en tant qu’individu. Songer que Dieu en Christ s’intéresse de très près à ma personne confère immédiatement à mon séjour sur terre un but sublime et une très grand importance »
Ma grande sœur et la brebis perdue:
Ma grande sœur était ce qu’on appelle la brebis « galeuse » de la famille. Autour de ses vingt ans elle a fait les 400 coups dans la bonne ville de Fontainebleau. Elle était très jolie et intelligente, à 14 ans, elle en paraissait 18. Elle avait un certain succès ! Elle semblait être aimé de tout le monde et de n’avoir besoin de personne en Harley Davidson. Elle claquait des doigts et tout le monde l’aimait en tous cas aux yeux du petit garçon que j’étais. Et pourtant Pascale a été touché au plus profond d’elle-même par l’histoire de la brebis perdue, parce que pour la première fois elle se sentait aimée sans avoir rien à faire pour le mériter, être aimée sans devoir séduire. Elle se savait aimée par quelqu’un prêt à laisser les 99 autres personnes (sa famille !) pour venir la chercher elle, elle qui avait plus que tout autre, besoin d’être aimée malgré les apparences. Elle a été touchée par cette histoire d’amour, elle avait 39 ans.
2) C’est aussi l’histoire d’un amour qui prend l’initiative
On est frappé par l’engagement du berger. On pourrait dire « c’est son métier après tout » et on aurait raison mais il est clair qu’il s’investit dans cette recherche. Il n’attend pas à la bergerie en se disant qu’elle reviendra surement le lendemain. Il ne lance pas quelques recherches symboliques. Non il s’agit de se mettre à sa recherche « Jusqu’à ce qu’il la trouve » v. 4. Cela pourra prendre des heures, des jours ou des mois mais il la retrouvera, foi de berger !
On sait qu’à l’époque les bergers pouvaient faire des kilomètres pour retrouver une brebis perdue dans un ravin. On sait aussi qu’il devait absolument ramener son corps pour ne pas laisser les gens dans l’incertitude. On se donne à ses brebis quand on est berger ! Et c’est cette prise d’initiative énergique du berger qui ressort de cette histoire. Et il ne faut pas oublier que ce berger représente Dieu et que cette histoire s’adresse à des Pharisiens qui rouspètent parce que Jésus s’intéresse à d’autres personnes que les élus !
Ces rabbins étaient d’accord avec l’idée que Dieu pourrait accueillir les pécheurs pénitents. Mais ce qui est nouveau et ce qui est choquant pour eux dans l’histoire c’est que Dieu se mobilise pour une brebis qui ’est elle même perdue et en plus n’est pas de la bonne bergerie. Pour les rabbins de l’époque, cette histoire de Jésus ne rentre pas dans leurs schémas de pensée.
Le jusqu’auboutisme du berger:
J’aime beaucoup cette phrase d’un commentateur qui écrivait pour cette histoire de brebis perdue et recherchée : « Dieu ne renonce pas à son espérance ! », Dieu est toujours prêt à aller jusqu’au bout avec ses brebis. Et le « jusqu’à » du verset 4 de Luc 15, nous fait penser à cette parole de Philippiens 2, vous savez cet hymne à Christ qui nous parle de ce Dieu qui se fait homme et qui « s’abaisse lui-même en devenant obéissant jusqu’à subir la mort, oui la mort sur la croix » Phil 2 :8 Le « jusqu’à » est important, il marque le jusqu’auboutisme de Dieu qui est manifeste à la croix.
Et on remarque également que le berger se lance à la recherche de sa brebis sans exiger le moindre changement préalable. Tout le récit donne l’impression que la brebis ne fait rien, sinon se perdre et être ramenée. Evidemment une brebis lambda n’est pas en mesure de réfléchir, ni de regretter la bergerie. Il ne faut pas pousser trop loin la métaphore.
D’ailleurs quand Jésus explique la parabole, il parle bien de repentance, de changement de vie dans la personne qui s’est perdue. Il y a de la métanoïa dans l’air ! Malgré tout, il semble bien que c’est le mouvement de Dieu vers la brebis ou la course du père vers le fils qui provoque le changement chez la brebis ou le fils prodigue. Et la brebis se laisse ramener à la maison, et le fils se laisse accueillir. N’est ce pas cela la conversion ? Se laisser retrouver par Dieu, se laisser surprendre par tant d’amour, se laisser porter pour rentrer au bercail dans la maison du père. Alors oui il y a des décisions à prendre des choix à faire, nous ne sommes pas des moutons mais l’initiative vient du bon berger, du Dieu qui nous aime.
3) C’est une histoire d’amour qui finit toujours dans la joie.
Les Rita Mitsuko chantaient « les histoires d’amour finissent toujours mal ». Mais ici, dans les 3 histoires, à la fin c’est toujours la joie ! Le berger rassemble ses amis pour boire un verre parce qu’il a retrouvé sa brebis, la femme fait un thé party avec ses voisines parce qu’elle a retrouvée sa pièce d’argent « réjouissez-vous avec moi » dit-elle ! Quant au père du fils prodigue, il organise une soirée VIP pour le retour de son rejeton. Il y a de la joie !
Pas de reproche à la brebis ou au fils, pas de sermon sur les dangers de partir seul le soir, pas de remontrances sur la gestion du patrimoine familial: Que de la joie, que du bonheur !
Une joie peu conventionnelle:
D’ailleurs cette joie pourrait paraître un peu disproportionnée. C’est ce que trouve le fils aîné, la joie du père serait injustifiée, et surtout un peu ridicule, voire embarrassante. Imaginez un Pater familias respectable qui court vers son fils en retroussant les pans de sa robe. On est gêné par cette joie mais elle nous touche, n’est ce pas ? Surtout si on se place du côté de la brebis perdue ou du fils qui rentre à la maison. Surtout si on est cette brebis perdue ! Moi la brebis perdue, sujet ou objet de la joie de Dieu, la cause, la raison de la joie de Dieu ? Moi, brebis, « déclencheuse » de la joie de Dieu ! Moi mouton, provocateur de la joie de Dieu !
La joie de Dieu:
Je me souviens que Rick Warren parlait du sourire de Dieu. Il disait dans ces livres que nous étions faits pour le sourire de Dieu mais nous sommes faits pour plus que le sourire, de Dieu, nous sommes faits pour la joie de Dieu. La joie qu’il a et qu’il partage de nous avoir retrouvés en Jésus Christ ! Le pécheur est la joie de Dieu, je suis la joie de Dieu !
Et cela c’est aussi un trésor. Il y a tant de choses qui nous rendent tristes, on a tellement peur aussi d’attrister les autres, ou même simplement de les décevoir mais nous sommes la joie de Dieu…Dieu n’est pas déçu par nous il est réjouit de nous voir perdu et retrouvé. C’est la joie !
Et les autres pharisiens, hommes à la triste mine, sérieux comme des papes? Et bien, eux aussi ils auraient droits à la joie. Jésus ne raconte pas cette histoire comme une attaque contre les pharisiens mais pour une tenter de les gagner et de les gagner à …la joie. C’est une invitation à se libérer de leur triste piété C’est une invitation à venir faire la fête, avec le berger, la ménagère et le père…
« Il faut se réjouir » dit le père à son fils ainé qui aurait bien besoin « il faut » Non pas parce qu’il le faudrait bien…non mais parce que Dieu veut nous communiquer sa joie…à toutes les brebis perdues et retrouvées et à tous les amis et voisins et villageois qui assistent à ces scènes de sauvetage.
La joie et moi et moi et moi !
Tiens et si je m’y mettais aussi à la joie ? Si Dieu venait nous prendre ce matin, trouverait-il la joie ! La joie du salut pour toutes les brebis ! Alors évidemment notre joie est altérée par le fait que tous nos proches, nos amis, nos enfants peut-être ne sont pas encore retrouvés. Mais nous devons continuer à penser qu’ils sont recherchés, non pas par la police mais par le Berger. Ils sont recherchés, il nous faut prier pour que quand le berger arrive, ils se laissent prendre dans ses bras pour les ramener à la Bergerie.
Quand l’Eglise joue au berger:
Nous avons aussi notre responsabilité en tant qu’Eglise d’aller chercher ceux qui sont perdus dans un ravin, ou autre part dans le monde. Un ami pasteur de l’Union, Jean François Ragarru, nous a raconté l’histoire de la brebis perdue sous un autre angle, l’angle de l’Eglise, de l’histoire de l’Eglise, l’histoire un peu de toutes les églises locales.
Imaginons que le berger représente l’Eglise. Au début de l’histoire de l’Eglise, une brebis se perd, l’Eglise se dit, je dois m’occuper en priorité des 99 autres et je ne vais pas perdre mon temps à m’occuper de cette centième brebis qui a quelque part choisi de se perdre !
Et puis une deuxième brebis se perd, le berger suit le même raisonnement et se dit qu’il lui en reste toujours 98 dont il faut s’occuper. Mais au fil du temps, 3 brebis se perdent et puis 4, 5 et 10 mais le berger perd de vue l’idée même d’aller les chercher, il n’a plus le réflexe de courir ni la compagne ni la montagne, il s’occupe de celles qui restent et il le fait plutôt pas mal. Et puis, et c’est l’histoire de l’Eglise, les chiffres finissent par s’inverser, il lui reste 10 brebis alors que 90 sont perdus dans l’histoire, mais le berger ou l’Eglise s’occupe des 10%, puis des 3% qui lui reste. Il ne lui vient même plus à l’idée d’aller chercher ceux qui sont au dehors, les outsiders comme j’aime les appeler d’après Philippiens 4.
J’ai trouvé que c’était bien trouvé et que cela collait à une certaine réalité de toutes nos églises de France et de Navarre. Il me semble urgent de pouvoir et surtout de vouloir inverser la tendance et aller au dehors pour chercher et ramener toutes les brebis égarées, aller et de témoigner auprès de tous ceux qui sont perdus, égarés, en manque d’amour et de repères, dans la culpabilité et sans espérance. D’aller en montagne ou en campagne ou en ville pour leur parler de ce Dieu d’amour qui les aime comme un berger aime ses brebis et se donne pour chacune d’elle personnellement.
Oui cette histoire de la brebis perdue est une belle histoire d’amour. Un amour personnel, un amour qui prend l’initiative et qui se termine dans la joie. Et ce qu’il y a de particulier dans cette histoire, c’est que c’est celle de chacun d’entre nous, si nous acceptons de prendre la main que le berger nous tend. Encore faut-il lever les yeux de temps en temps alors qu’on est au fond du ravin, au fond du trou ou tout simplement dans le creux de la vague.
Lever les yeux et voir la main que le berger nous tend…